Le Théâtre Antique d’Orange fête cette année le bicentenaire de la naissance des deux géants de l’opéra du xixe siècle, Verdi (« Un bal masqué ») et Wagner (« le Vaisseau fantôme »). Le très attendu Mikko Franck
illumine la soirée par la variété et l’intensité de sa direction.
* Titre français qui se distingue de l’original en allemand, littéralement « le Hollandais volant » (nom du héros maudit).
Incontestable évènement lyrique de la saison estivale, la venue de
Mikko Franck aux Chorégies d’Orange était attendue à plus d’un titre.
Diriger la langue de Goethe dans l’enceinte
majestueuse du Théâtre Antique constitue en effet un privilège
rare, là où l’opéra italien, et plus rarement français, règne en maître.
Il faut dire que la réputation du jeune chef
finlandais de 34 ans ne cesse de s’accroître depuis son unique
prestation à Orange en 2010, dans une mémorable Tosca.
Récemment nommé au poste de directeur musical de
l’Orchestre philharmonique de Radio France, une fonction qu’il
assumera à la rentrée 2015, Mikko Franck a révélé à l’automne dernier
son affinité avec Wagner en assurant au
pied levé la direction d’un superbe Tristan et Isolde.
Dans la bouillante enceinte de près de 8 300 places éclairée par les derniers feux du soleil couchant, l’ouverture du Vaisseau fantôme
offre une entrée en matière
saisissante en reprenant les principaux leitmotive de l’opéra qui
s’entremêlent avec virtuosité. La baguette vive et agile du chef
finlandais anime le thème dramatique du Hollandais
volant, avant de ralentir le tempo dans les passages lyriques qui
vibrent d’une poésie aérienne et délicate. Attentive aux moindres
variations pendant toute la représentation, sa direction
exalte un raffinement chambriste ou d’étonnants passages dansants
qui rapprochent Wagner de ses aînés Weber et Mendelssohn.
Une variété de couleurs
La variété de couleurs ainsi déployée permet de délaisser les visions par trop souvent univoques du Vaisseau fantôme *,
drame implacable qui n’a pas besoin de lourdeurs
appuyées pour opérer à plein. Si l’on peut regretter l’absence de
surtitres en français, l’histoire éloquente et suggestive résonne
aisément en chacun avec une efficacité à laquelle
l’atmosphère fantastique n’est pas étrangère, autour de la légende
du Hollandais volant condamné à errer sur les mers pour l’éternité,
dans l’attente de l’amour qui pourra le délivrer de la
malédiction. Alors qu’il accoste sur des terres norvégiennes, le
maudit tente d’obtenir la main de la ravissante Senta, pourtant promise à
Érik le chasseur, en soudoyant son père, le
capitaine Daland.
Contrairement à la production
récemment dévoilée à l’Opéra de Bavière, la mise en scène
classique de Charles Roubaud ne cherche pas à extrapoler au-delà des
intentions premières du compositeur. À partir d’un
décor unique pendant toute la soirée, où seule émerge la proue
d’une épave imposante, Roubaud se refuse à tout recours au spectaculaire
et à la facilité de magnifier l’écrin majestueux du
Théâtre Antique par l’intervention des éclairages ou de la vidéo.
Les ambiances fantomatiques projetées lors des interventions
du Hollandais ne forcent jamais le trait d’une mise en
scène dont l’épure est soutenue par une direction d’acteurs très
précise.
Un plateau vocal homogène
Grand habitué des Chorégies depuis 1995, Roubaud se joue ainsi
aisément du piège d’une vaste scène où plus d’un chanteur y a paru
perdu. On retient notamment l’attention portée aux déplacements
du chœur de femmes au deuxième acte, véritable ballet enchanteur
et élégiaque. Côté voix, le plateau réuni se montre d’une belle
homogénéité, Egils Silins (le Hollandais)
et Stephen Miling (Daland) offrant tous deux des qualités de
projection idéales, tandis qu’Ann Petersen (Senta), à l’émission parfois
étroite, met un peu de temps à se chauffer
avant d’emporter l’adhésion d’un public conquis.
* Titre français qui se distingue de l’original en allemand, littéralement « le Hollandais volant » (nom du héros maudit).
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