lundi 23 septembre 2013

« L'Anniversaire » de Harold Pinter - Théâtre du Vieux-Colombier - 18/09/2013

Le retour d’une œuvre du grand dramaturge britannique Harold Pinter à la Comédie-Française était un évènement vivement attendu. Malheureusement, une mise en scène bien trop sage plombe un spectacle rapidement ennuyeux faute d’une direction d’acteurs serrée. 

Si l’on doit à Roger Blin et Claude Régy la découverte de l’œuvre de Harold Pinter en France dans les années 1960, il a fallu attendre un peu plus longtemps pour que la Comédie-Française l’inscrive à son répertoire en 2000, avec son chef-d’œuvre, le Retour. Et tout cela par la grâce d’un opportun décret de 1995 qui a enfin offert la possibilité d’une présentation des auteurs étrangers vivants dans la salle Richelieu, lieu emblématique qui détermine seul l’inscription au fameux répertoire de l’Institution. C’est ainsi que le britannique Tom Stoppard a été le premier à recevoir les honneurs d’une représentation avec sa pièce Arcadia * en 1998, tout juste avant Pinter. Mais la volonté d’extension du répertoire traditionnel, dévolu aux inévitables Molière, Corneille ou Racine, a surtout été rendue possible lors de l’adjonction des deux autres salles à la jauge plus petite, le Théâtre du Vieux Colombier en 1993, puis le Studio Théâtre du Carrousel du Louvre en 1996.
C’est précisément au Vieux-Colombier que s’effectue le grand retour de Pinter dans la prestigieuse institution, avec l’Anniversaire, pièce de jeunesse contemporaine du Monte-Plats dont elle reprend plusieurs éléments, notamment l’unité de lieu en forme de huis clos étouffant ou l’étrange et parfois désopilante relation de domination entre les deux truands. Il est ici question d’un couple ordinaire, Meg et Peter, qui gèrent une pension de famille pourvue d’un unique client, l’indolent Stanley. Décrite avec une acuité féroce, la banalité du quotidien sur lequel personne ne semble avoir prise, cristallise l’attente et l’ennui. Quand surgissent deux malfrats aux airs inquiétants, la pièce bascule dans un affrontement absurde entre les personnages dont les motivations restent énigmatiques et insaisissables.
Combler les manques
On retrouve ainsi le théâtre de la menace cher à l’auteur, au langage savoureux à force d’ellipses et de sous-entendus. C’est bien à l’auditeur de construire sa réflexion, de combler les manques qui jaillissent inévitablement. Mais ce théâtre-là n’est pas que cérébral, il assoit aussi son intérêt sur un comique distillé avec finesse, entre contre-pieds permanents ou simple répétition de ritournelles auxquelles se raccrochent les personnages, souvent pathétiques à force de médiocrité. Une intention marquante voulue par Pinter dès le début de la pièce, lorsque prend place la terrible épreuve matinale du sempiternel petit déjeuner entre époux qui n’ont rien à se dire. L’épouse soumise fait l’effort d’une conversation rapidement stérile, irrésistible par sa banalité désopilante.
La très belle scénographie d’Yves Bernard construit un intérieur aux teintes froides, sans éléments de décor extravagants hormis un vélo d’appartement en bord de scène. L’épure ainsi suggérée symbolise finement l’aisance matérielle, mais également le peu de personnalité et de fantaisie de ce couple intellectuellement creux. Ce beau décor glacé reste ainsi figé pendant toute la durée de la pièce, sans qu’aucun mouvement de plateau (pour modifier les angles de vue) ou ajout d’accessoires ne soient sollicités. Les éclairages très réalistes n’apportent pas plus de fantaisie à l’ensemble alors que l’on pouvait s’attendre à davantage de contrastes au vue des magnifiques photographies réalisées par Christophe Raynaud de Lage pour le programme de salle ou, plus largement, pour la promotion de la pièce. Bien entendu, une telle conception peut se concevoir à condition de bénéficier d’une direction d’acteur serrée. Mais c’est précisément là que le bât blesse.
Des comédiens sur la retenue
Très cinématographique, la mise en scène de Claude Mouriéras peine à dépasser la seule volonté d’une beauté plastique élégante. La première partie dévolue au comique de situation est ainsi sous-interprétée par des comédiens qui semblent se retenir, hésitant à affronter la face triviale de leur personnage. On aurait ainsi aimé moins de réserve dans le jeu de Cécile Brune, impeccable Meg aux accents lunaires, qui manque quelque peu de sensualité pour manifester ses élans érotiques envers Jérémy Lopez (Stanley). Ce dernier interprète le charmeur indolent avec toute l’arrogance nécessaire, mais trop univoque, laisse de côté l’animalité trouble et sous-jacente qui enrichit son rôle. Seul Nicolas Lormeau semble à sa place dans l’incarnation du mari absent, délicieusement ahuri et indifférent aux évènements jusqu’à la révélation finale. Mais la grande déception vient surtout des deux truands, auxquels ni Éric Génovèse (caricatural dans l’autoritarisme et peu crédible séducteur) ni Nâzim Boudjenah (bien terne) n’apportent de crédibilité.
Alors, évidemment, ces impressions au soir de la première invitent à la prudence. On se doute que des comédiens aussi chevronnés vont rectifier le tir au fil des représentations pour trouver davantage de rythme et d’énergie. Mais impossible pour l’instant de conseiller d’aborder l’œuvre de Pinter avec cette production trop sage et sans éclats – tout en rappelant que d’autres grandes maisons s’y sont cassé les dents dans le passé. Fort heureusement, il nous reste à vous recommander chaudement une autre œuvre de Pinter, Une sorte d’Alaska, visible au Théâtre des Déchargeurs jusqu’à la fin de l’année.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire