Le retour d’une
œuvre du grand dramaturge britannique Harold Pinter à la
Comédie-Française était un évènement vivement attendu.
Malheureusement, une mise en scène bien trop sage plombe un
spectacle rapidement ennuyeux faute d’une direction d’acteurs serrée.
Si l’on doit à Roger Blin et Claude Régy la découverte de l’œuvre
de Harold Pinter en France dans les années 1960, il a fallu attendre un
peu plus longtemps pour que la
Comédie-Française l’inscrive à son répertoire en 2000, avec son
chef-d’œuvre, le Retour. Et tout cela par la
grâce d’un opportun décret de 1995 qui a enfin
offert la possibilité d’une présentation des auteurs étrangers
vivants dans la salle Richelieu, lieu emblématique qui détermine seul
l’inscription au fameux répertoire de l’Institution.
C’est ainsi que le britannique Tom Stoppard a été le premier à
recevoir les honneurs d’une représentation avec sa pièce Arcadia *
en 1998, tout juste avant Pinter. Mais la
volonté d’extension du répertoire traditionnel, dévolu aux
inévitables Molière, Corneille ou Racine, a surtout été rendue possible
lors de l’adjonction des deux autres salles à la jauge
plus petite, le Théâtre du Vieux Colombier en 1993, puis le
Studio Théâtre du Carrousel du Louvre en 1996.
C’est précisément au Vieux-Colombier que s’effectue le grand retour de Pinter dans la prestigieuse institution, avec l’Anniversaire, pièce de jeunesse contemporaine
du Monte-Plats
dont elle
reprend plusieurs éléments, notamment l’unité de lieu en forme de
huis clos étouffant ou l’étrange et parfois désopilante relation de
domination entre les deux truands. Il est ici question
d’un couple ordinaire, Meg et Peter, qui gèrent une pension de
famille pourvue d’un unique client, l’indolent Stanley. Décrite avec une
acuité féroce, la banalité du quotidien sur lequel
personne ne semble avoir prise, cristallise l’attente et l’ennui.
Quand surgissent deux malfrats aux airs inquiétants, la pièce bascule
dans un affrontement absurde entre les personnages
dont les motivations restent énigmatiques et insaisissables.
Combler les manques
On retrouve ainsi le théâtre de la menace cher à l’auteur, au
langage savoureux à force d’ellipses et de sous-entendus. C’est bien à
l’auditeur de construire sa réflexion, de combler les
manques qui jaillissent inévitablement. Mais ce théâtre-là n’est
pas que cérébral, il assoit aussi son intérêt sur un comique distillé
avec finesse, entre contre-pieds permanents ou simple
répétition de ritournelles auxquelles se raccrochent les
personnages, souvent pathétiques à force de médiocrité. Une intention
marquante voulue par Pinter dès le début de la pièce, lorsque
prend place la terrible épreuve matinale du sempiternel petit
déjeuner entre époux qui n’ont rien à se dire. L’épouse soumise fait
l’effort d’une conversation rapidement stérile, irrésistible
par sa banalité désopilante.
La très belle scénographie d’Yves Bernard construit un intérieur
aux teintes froides, sans éléments de décor extravagants hormis un vélo
d’appartement en bord de scène. L’épure ainsi
suggérée symbolise finement l’aisance matérielle, mais également
le peu de personnalité et de fantaisie de ce couple intellectuellement
creux. Ce beau décor glacé reste ainsi figé pendant toute
la durée de la pièce, sans qu’aucun mouvement de plateau (pour
modifier les angles de vue) ou ajout d’accessoires ne soient sollicités.
Les éclairages très réalistes n’apportent pas plus de
fantaisie à l’ensemble alors que l’on pouvait s’attendre à
davantage de contrastes au vue des magnifiques photographies réalisées
par Christophe Raynaud de Lage pour le programme
de salle ou, plus largement, pour la promotion de la pièce. Bien
entendu, une telle conception peut se concevoir à condition de
bénéficier d’une direction d’acteur serrée. Mais c’est
précisément là que le bât blesse.
Des comédiens sur la retenue
Très cinématographique, la mise en scène de Claude Mouriéras peine
à dépasser la seule volonté d’une beauté plastique élégante. La
première partie dévolue au comique de situation est ainsi
sous-interprétée par des comédiens qui semblent se retenir,
hésitant à affronter la face triviale de leur personnage. On aurait
ainsi aimé moins de réserve dans le jeu de Cécile Brune,
impeccable Meg aux accents lunaires, qui manque quelque peu de
sensualité pour manifester ses élans érotiques envers Jérémy Lopez
(Stanley). Ce dernier interprète le charmeur indolent avec
toute l’arrogance nécessaire, mais trop univoque, laisse de côté
l’animalité trouble et sous-jacente qui enrichit son rôle. Seul
Nicolas Lormeau semble à sa place dans l’incarnation du
mari absent, délicieusement ahuri et indifférent aux évènements
jusqu’à la révélation finale. Mais la grande déception vient surtout des
deux truands, auxquels ni Éric Génovèse
(caricatural dans l’autoritarisme et peu crédible séducteur) ni
Nâzim Boudjenah (bien terne) n’apportent de crédibilité.
Alors, évidemment, ces impressions au soir de la première invitent
à la prudence. On se doute que des comédiens aussi chevronnés vont
rectifier le tir au fil des représentations pour trouver
davantage de rythme et d’énergie. Mais impossible pour l’instant
de conseiller d’aborder l’œuvre de Pinter avec cette production trop
sage et sans éclats – tout en rappelant que d’autres
grandes maisons s’y sont cassé les dents dans le passé. Fort heureusement, il nous reste à vous recommander
chaudement une autre œuvre de Pinter, Une sorte d’Alaska, visible au Théâtre des Déchargeurs jusqu’à la fin de l’année.
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