A Boulogne-Billancourt, une mise en scène survitaminée révèle un Feydeau méconnu où la pétillante et charmante Anne Girouard illumine la soirée. Courez fêter ce bourgeon vivifiant comme une source nouvelle !
Une pièce de Feydeau, c’est un peu comme un péché mignon que l’on
s’autorise une fois par an, presque honteusement dans la pénombre
accueillante d’un fond de salle. Et pourtant on y
revient toujours, étonné par ce même plaisir, mélange de reparties
hautes en couleur et de situations cocasses qui fusent dans un rythme
implacable et irrésistible. À Boulogne-Billancourt, le
Théâtre de l’Ouest-Parisien ne s’y est pas trompé en ouvrant sa
saison avec le maître du vaudeville pour la deuxième fois consécutive
après l’excellente production
du Système Ribadier
l’an passé.
Place cette fois au Bourgeon, une œuvre méconnue,
difficile à monter avec ses vingt-et-un personnages (ici interprétés par
onze comédiens), écrite en 1906 alors que
Georges Feydeau est au faîte de sa gloire, multipliant les succès
depuis plus de vingt ans. Il choisit alors de se lancer un défi inédit,
celui de quitter les habituelles terres
fertiles du vaudeville pour explorer celles plus arides de la
comédie de mœurs, où rires et émotions s’entremêlent harmonieusement. Un
pari sans doute occasionné par la volonté de modifier une
image d’auteur léger, qui rappelle indubitablement les semblables
efforts de son père spirituel Eugène Labiche pour se faire jouer de son
vivant à la Comédie-Française.
Le tourbillon des désirs
Si la postérité n’a pour l’instant fait honneur qu’aux seuls
vaudevilles de Feydeau, on peut le regretter au vu de la découverte de
ce Bourgeon, tout aussi détonant que surprenant. La
pièce prend ainsi place dans un manoir de la Bretagne catholique
profonde où la pieuse comtesse de Plounidec convoque sa famille autour
de l’abbé et du médecin réunis pour guérir la
neurasthénie de son fils, le pâle Maurice. En plein éveil des
sens, l’adolescent naïf destiné à la prêtrise lutte contre le tourbillon
des désirs qui se font jour autour de lui, incarnés par la
bonne, la cousine Huguette ou la charmante cocotte Étiennette.
Sur fond de dénonciation de la bigoterie féminine ambiante, la
première partie de la pièce fait la part belle à des éléments comiques,
tel cet impayable récit de Huguette décrivant le sauvetage
d’un noyé avec force sous-entendus sexuels, tandis que la mise en
scène de Nathalie Grauwin provoque les fous rires par les assauts
fougueux de la jeune fille plaquant son propre père au
sol et lui mimant un éloquent bouche-à-bouche. Une scène à l’image
de l’énergie déployée sur le plateau quasi nu, qui embarque les
comédiens dans une chorégraphie millimétrée en forme de ballet
virtuose. De ce décor minimaliste, seuls quelques chaises et un
lustre permettent, au moyen d’éclairages contrastés, de figurer la
monotonie du manoir ou l’exubérance des appartements de
la cocotte.
La cocotte sublimée en Marie-Madeleine
Non exempte de maladresses (la poursuite du mari volage à coups de
fouet, par exemple), cette mise en scène survitaminée provoque une
bonne humeur constante où l’on se délecte des nombreux bons
mots de l’auteur. Mais elle sait aussi se faire plus délicate
lorsque le propos devient plus profond, dénonçant non pas la religion
mais la bigoterie, les faux-semblants et les hypocrisies
conjugales. À ce jeu-là, la cocotte devient une Marie-Madeleine
sublimée par des éclairages qui figurent une madone, tandis que de
subtils effets de magie apportent une touche
surréaliste aux scènes de romance.
La direction d’acteurs pousse les onze comédiens à se dépasser
dans l’exubérance, ce que la belle homogénéité du plateau réuni permet
aisément. Mais c’est surtout la délicieuse
Anne Girouard qui sublime son rôle de cocotte, tour à tour habile
gouailleuse et touchante amoureuse, avant l’étonnant renversement final
qui la voit triompher dans la sérénité du
renoncement. L’actrice, bien connue des amateurs de la série
télévisée Kaamelott, où elle interprète une truculente
reine Guenièvre, prouve s’il était besoin toute l’étendue de
son talent. À ses côtés, on ne doute pas que le Maurice un rien
trop lisse de Romain Dutheil va s’affirmer au fil des représentations
pour exprimer toute l’ambiguïté du séducteur qui
s’ignore. Outre le physique du rôle, il a pour lui la diction et
l’éloquence qui lui ont permis d’intégrer le groupe d’élèves-comédiens
de la Comédie-Française en 2011.
On retiendra aussi l’excellent duo de bigotes formé par
la comtesse de Sylvie Debrun et l’Eugénie de Nadine Berland, qui
prennent une dimension de plus en plus comique,
particulièrement aboutie dans la scène désopilante où elles
rendent visite à la cocotte. Un des sommets de cette œuvre délicieuse
qui va opportunément quitter Boulogne pour une vaste
tournée à travers toute la France.
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