mercredi 16 avril 2014

« Festival Benjamin Britten » - Opéra de Lyon - 11 au 13/04/2014

« Keep calm and listen to Britten » (Restez calme et écoutez Britten) clame la malicieuse banderole qui s’étale sur le fronton de l’Opéra de Lyon. En trois opéras très différents, cette belle maison fait honneur à l’un des compositeurs majeurs du xxe siècle.

Peter Grimes mis en scène par Yoshi Oida
On doit l’extension considérable du répertoire de l’Opéra de Lyon, désormais centré sur le xxe siècle, à son directeur Serge Dorny, en poste depuis 2003. Une longévité qui permet de faire ses preuves au fil du temps et d’acquérir ainsi la nécessaire confiance du public. Fort de ce capital, Dorny organise chaque année un festival original qui met en lumière des rapprochements inattendus. On se souvient en 2012 de Puccini plus et sa passionnante mise en miroir d’un opéra en un acte de Puccini avec une autre œuvre courte d’un contemporain allemand, ou l’an passé du festival Justice / Injustice, avec la création mondiale d’une œuvre du compositeur français Thierry Escaich.
Place cette année à Benjamin Britten (1913-1976), auquel ces colonnes ont souvent porté haut sa musique (1). Rien d’étonnant tant les opéras du compositeur anglais réunissent une riche palette musicale fondée sur son imagination mélodique et la subtilité de ses couleurs orchestrales, autour de livrets aussi inventifs que surprenants. En présentant trois opéras écrits à des époques distinctes de sa vie, l’Opéra de Lyon permet une passionnante confrontation de l’évolution du style du compositeur, bien réelle. Quoi de plus différent que son Peter Grimes, premier succès qui imposa en 1945 le nom du compositeur à travers le monde, débordant d’un lyrisme généreux marqué par une orchestration opulente et un chœur non moins spectaculaire, et l’austérité assumée de la parabole d’église Curlew River, composée en 1964 en référence à une pièce japonaise de théâtre nô ?

Trois opéras à voir successivement

Entre les deux, l’intense chef-d’œuvre de 1954, le Tour d’écrou, ne cesse de fasciner à chaque écoute tant les ambiguïtés d’interprétation sont nombreuses (voir les critiques précédentes à ce sujet [1]). Déjà, la présence de l’orchestre se fait plus discrète avec la diminution – encore plus manifeste avec Curlew River – du nombre d’instruments, offrant des sonorités toujours plus subtiles, réduisant toujours plus la durée des œuvres. L’admirable réussite de cette volonté permanente de se réinventer explique la nécessité pour le non-connaisseur de voir ces trois opéras successivement, et de préférence dans l’ordre de composition. Une gageure d’autant plus impérieuse que les trois productions affichent un excellent niveau de qualité, tout en offrant des mises en scène passionnantes, à confronter tant elles appartiennent à des logiques différentes.

La reprise de la production de Curlew River, mis en scène par Olivier Py en 2008 à Lyon, est une demi-surprise. Remettre à l’affiche une œuvre aussi exigeante, tant par l’intransigeance de sa musique aux teintes noires et grises que par son scénario aride, constitue donc un pari risqué et courageux. Mais la superbe scénographie en gradins, uniformément noire, provoque un intérêt constant par les différentes perspectives offertes au regard, par sa capacité à faire de la scène un personnage à part entière. À la lenteur de l’action répond celle de ce décor fascinant qui dévoile peu à peu ses atours, dans un rythme quasi hypnotique. L’émouvante dernière scène, où la mère éplorée arrive au terme de son douloureux voyage, trouve dans le travail de Py un écrin majestueux. La redoutable interprétation de la mère à la recherche de son fils offre à Michael Slattery un rôle bouleversant, dont il se saisit avec force, se jouant de toutes les périlleuses embûches vocales. À ses côtés, on retiendra surtout le magnifique timbre d’Ivan Ludlow (le Voyageur) et le convaincant William Dazeley (le Passeur).


Une autre superbe réussite visuelle

Avec la mise en scène du Tour d’écrou par Valentina Carrasco, on tient une autre superbe réussite visuelle, et pourtant radicalement opposée à la précédente. Carrasco joue sur les détails raffinés, au moyen de procédés techniques de suspension des meubles, suggérant un univers onirique et poétique. L’évocation du drame reste cependant un peu trop à la surface, cette mise en scène se gardant de prendre quelques partis pris que ce soit au-delà de l’apparente histoire de fantôme. Les aspects sombres et ambigus du drame passent ainsi à la trappe. Un sentiment renforcé par la direction certes colorée de Kazushi Ono, mais qui laisse malheureusement de côté l’aspect théâtral pour une approche un rien trop lente dans sa recherche constante du moindre détail orchestral à révéler. Fort heureusement, l’interprétation vocale homogène du plateau réuni convainc pleinement. Au final, une production qui contentera assurément le novice, mais qui pourra décevoir le mélomane plus chevronné.

Alors, si vous ne devez voir qu’un spectacle parmi les trois proposés, il vous faudra choisir en priorité le Peter Grimes mis en scène par Yoshi Oida. Le Japonais élabore un passionnant ballet au moyen de changements de décors incessants et patiemment élaborés, sans rien cacher au regard attentif du public. Les mouvements avec les différents containeurs apparaissent comme les seuls éléments porteurs d’une touche de modernité pour une mise en scène finalement très classique, mais dans le bon sens du terme. Très respectueux de l’œuvre, Oida se concentre sur sa direction d’acteur, qui procure une émotion bien réelle à force d’attention aux détails. Préfigurant les états d’âme de Grimes, l’immense toile en fond de scène évoque ainsi un tableau de Zao Wou-ki qui serait en perpétuel remaniement avec d’étonnants changements d’éclairage. Oida n’oublie pas d’offrir une humanité à un Grimes non uniformément brutal, tandis que la foule se déploie, ivre de toute sa hargne vengeresse et aveugle.

Une construction en arche

On retiendra aussi la belle idée d’une scénographie construite en arche, le prologue répondant à la dernière scène dans toute son extrême nudité, laissant Grimes seul au milieu de sa barque. Alan Oke (Peter Grimes), immense comédien, compense un timbre un peu terne en couleurs par une composition vibrante. Il est bien épaulé par la touchante Michaela Kaune (Ellen Orford) et l’impériale Kathleen Wilkinson (Tantine). Dans la fosse, Kazushi Ono se montre beaucoup plus à l’aise dans cette œuvre au lyrisme opulent, déployant un geste large et quasi romantique dans les interludes orchestraux.

L’Opéra de Lyon ayant d’ores et déjà annoncé sa nouvelle saison, on se réjouit à l’avance d’assister l’an prochain à une production des rares Stigmatisés de Franz Schreker (1878-1934), le grand rival de Richard Strauss dans les années 1910-1920. L’occasion de découvrir ce compositeur autrichien injustement méconnu en France (2).

(1) Outre son chef-d’œuvre le Tour d’écrou, voir aussi Owen Wingrave et plus récemment le Viol de Lucrèce.
(2) On se souvient de la production du Son lointain à Strasbourg, puis des Stigmatisés à Cologne l’an passé.

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