Aux abords de la fiévreuse Rambla de Barcelone, l’Opéra de la capitale catalane propose une audacieuse mise en scène d’un opéra
de Rimski-Korsakov. Un excellent plateau vocal permet de découvrir une œuvre inégale mais finalement attachante.
Voilà déjà plus de quinze ans que l’Opéra de Barcelone,
communément appelé « Liceu », s’est hissé au niveau des plus grandes
maisons lyriques européennes. Il aura fallu un
tragique incendie survenu en 1994 pour que l’Opéra soit
entièrement reconstruit à l’identique, tout en s’équipant discrètement
de toutes les fonctionnalités modernes (1). Mais c’est
surtout en accueillant les grands noms de la mise en scène comme
les stars du chant que la réputation nouvelle a été patiemment forgée.
Une politique rendue possible en raison de la rivalité
avec Madrid, ainsi qu’au formidable essor économique d’avant la
crise de 2008.
Rien d’étonnant, dès lors, à retrouver un spectacle coproduit avec
deux autres institutions prestigieuses, les Opéras de Paris et
d’Amsterdam. Déjà présenté dans la capitale
des Pays-Bas en 2012, l’opéra la Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia
de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) le sera-t-il à Paris ?
Aucune information n’a filtré en ce sens pour l’instant, l’œuvre ne
figurant pas au programme de la
saison 2014-2015. Reste donc à rejoindre Barcelone, une ville qui a
été la première à représenter, en 1926, cet opéra en dehors du
territoire russe. Plusieurs autres productions ont suivi,
démontrant le succès jamais démenti de cette œuvre dans la
capitale catalane.
Une œuvre fleuve imparfaite mais attachante
Contemporain de Tchaïkovski et membre éminent du « groupe des Cinq » avec Moussorgski, Rimski-Korsakov achève Kitège en 1904, trois ans avant la création à
Saint-Pétersbourg. Le célèbre auteur de la suite symphonique Shéhérazade
présente là son treizième et avant-dernier opéra, une œuvre fleuve
imparfaite mais attachante, à l’inspiration
inégale du fait d’une durée trop longue et de personnages
principaux également trop nombreux. Fort heureusement, on retrouve la
maestria du grand orchestrateur qu’est Rimski-Korsakov, tout
comme les variations d’atmosphère assises sur un chœur très
présent ou l’utilisation de savoureux thèmes du folklore russe.
Kitège raconte l’histoire d’un prince qui s’éprend de la
jeune paysanne Fevronia contre l’avis de la population, tandis qu’au
loin grondent les menaces tatares qui vont conduire à
la défaite. Seule l’intervention miraculeuse de Fevronia permet à
la ville haute de disparaître parmi des nuages qui rendent Kitège
invisible, la protégeant ainsi de l’ennemi. Le metteur en
scène russe Dmitri Tcherniakov (2) se saisit de ce conte avec
force, et ce dès la première scène. Les murmures du public accueillent
pendant plusieurs secondes l’effet saisissant
d’une forêt nimbée d’une brume enchanteresse et merveilleuse. À
mi-chemin entre représentation réaliste et symbolisme du conte, le
premier acte se déploie dans ce décor superbe.
Les Tatares grimés en loubards
L’effet de contraste avec les actes suivants n’en est que plus
saisissant, Tcherniakov nous embarquant dans un réalisme non avare d’une
violence brute particulièrement marquante. L’arrivée
des Tatares grimés en loubards marque les esprits, Tcherniakov
dénonçant probablement là les peurs du bourgeois d’aujourd’hui. Seule la
fin d’opéra, interminable et musicalement décevante,
pâtit de cette vision qui se refuse à invoquer le merveilleux pour
se concentrer sur les errements psychologiques de Fevronia et son
acolyte Grichka.
Côté voix, on retrouve une distribution quasiment identique à
celle réunie lors de la production amstellodamoise. Une bonne nouvelle
tant le niveau global est de haut niveau, dominé par la
Fevronia touchante et agile de Svetlana Ignatovich, l’énergique
Dmitry Golovnin (Grichka) ou le fougueux prince d’Eric Halfvarson. On
retiendra aussi la superbe basse de
Vladimir Ognovenko dans le rôle du Tatare Bouroundaï.
Un spectacle vivement applaudi par un public très attentif pendant
toute la représentation, pourtant assez longue, avec deux entractes.
Une audience sans doute séduite par les audaces de
Tcherniakov, mais aussi par la direction précise et détaillée de
Josep Pons, parfois un rien trop lent dans les passages lyriques, mais
qui sait aussi exalter sa phalange avec la clarté et
la distinction qui caractérise sa direction.
(1) On pense par exemple au très utile sous-titrage du livret sur le siège devant soi, un système dont nous avions déjà parlé en décembre dernier, après avoir assisté à Tosca à New York.
(2) Déjà découvert en France avec Macbeth de Verdi à l’Opéra-Bastille en 2009, puis Don Giovanni de Mozart au Festival d’Aix-en-Provence en 2010.
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