mercredi 6 août 2014

"Grands quatuors" par le Talich Quartet - Festival Pablo-Casals à Prades - 01/08/2014

Comme chaque année, le Festival de Prades est « le » rendez-vous incontournable des amateurs de musique de chambre. En résidence pour l’été, l’excellent Talich Quartet nous offre un précieux programme de « grands quatuors » pour fêter ses cinquante ans d’existence.

On doit la création du Festival de Prades à Pablo Casals, l’un des plus grands virtuoses du violoncelle au xxe siècle. Personnalité engagée autour des idéaux de la démocratie, le Catalan s’oppose vivement au nazisme en refusant de se produire en Allemagne dès 1933, puis dans son propre pays lorsque la dictature franquiste s’impose à partir de 1939. Dès lors, Casals se mure dans un profond silence, refusant toutes les invitations à jouer, et s’installe tout près de la frontière espagnole dans la charmante sous-préfecture de Prades (à 45 km de Perpignan), aidant ses nombreux compatriotes réfugiés * dans la région.
Casals ne sort de son silence musical qu’en 1950, convaincu par ses amis de fêter le bicentenaire de la mort de Jean‑Sébastien Bach : le Festival Pablo‑Casals à Prades est né. La manifestation, qui n’était pourtant pas destinée à se renouveler, devient annuelle, se spécialisant dans la promotion de la musique de chambre. Rien d’étonnant à cela, tant Casals s’est admirablement illustré dans ce répertoire avec le pianiste Alfred Cortot et le violoniste Jacques Thibaud. Figurant parmi les plus anciens festivals de musique d’Europe, Prades accueille chaque année la fine fleur des instrumentistes, dont cette année les quartettes Artis et Talich en résidence.
Un Mendelssohn inhabituellement sombre
C’est précisément la formation tchèque que l’on retrouve pour un concert consacré aux grands quatuors du répertoire. Un évènement un peu particulier puisqu’il s’agit de fêter le cinquantième anniversaire de cet ensemble, créé en 1964 par Jan Talich, neveu du célèbre chef d’orchestre Václav Talich. Entièrement renouvelé en 1990, le quartette est désormais mené par le fils de son fondateur, Jan Talich Junior, au premier violon. Dans la magnifique abbaye de Saint-Michel de Cuxa, aux délicates arcades de marbre rose, les quatre hommes commencent leur programme par le dernier quatuor de Felix Mendelssohn (1809-1847). Un des tout derniers chefs-d’œuvre du grand maître allemand, composé peu de temps après le décès de sa sœur Fanny, où Mendelssohn se laisse porter vers des teintes sombres inhabituelles chez lui, dévoilant une profondeur d’inspiration bouleversante.
Les Talich abordent cet opus avec une remarquable cohésion, refusant toute folie interprétative pour privilégier une vision objective d’une précision redoutable. Entre délicatesse et intériorité, toute effusion est systématiquement refusée au profit d’une pudeur à la violence sourde, capable de se déchaîner dans un finale virtuose mené à un tempo d’enfer. Une même optique est adoptée pour le Quatuor nº 8 de Chostakovitch, d’une ampleur quasi symphonique. Aux scansions dramatiques du début répondent les superbes passages suspendus où l’éventail de couleurs de l’alto fait merveille. Un altiste volontiers malicieux lorsqu’il se tourne vers l’assistance, prenant un réel plaisir à jouer devant ce public de connaisseurs.
Avec Bedřich Smetana, le tempo retenu fait place à une lisibilité un rien trop analytique, mais qui parvient à captiver par ses césures bien marquées, autour d’une lecture qui ne surjoue jamais le drame dans son autorité radieuse. Là encore, l’œuvre fait place au tragique, le compositeur tchèque l’ayant écrite alors que sa surdité devenait, comme Beethoven, définitive. Résumé de sa vie, ce quatuor fait également place à un lyrisme débordant dans les premiers mouvements, à la veine mélodique irrésistible.
En bis, les Talich jouent la décontraction et l’humour avec une œuvre de Piazzola aux airs de tango, avant d’entonner d’irrésistibles variations sur le thème de l’anniversaire, provoquant l’hilarité du public. Une conclusion joyeuse pour ces habitués fidèles du Festival Pablo-Casals. 

* On pourra lire à ce sujet les différents romans en grande partie autobiographiques de l’écrivain Michel del Castillo, dont le poignant Tanguy (Folio, 1957).

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