lundi 13 octobre 2014

« Armida » de Joseph Haydn - Théâtre de St-Quentin-en-Yvelines - 10/10/2014

Mariame Clément
Il faut sans doute beaucoup d’audace, et peut-être aussi un peu d’inconscience pour s’attaquer à l’Armida de Haydn, avant-dernier opéra méconnu du maître autrichien, créé en 1784 à Esterháza. Si cet opera seria aux accents baroques ne révolutionne pas le genre en respectant la traditionnelle alternance d’airs et de récitatifs, il offre néanmoins une heureuse variation au niveau des récitatifs, en forme secco ou accompagnés. Avec peu d’ensembles et aucun chœur, Haydn parvient à bien caractériser son œuvre, très guerrière dès l’Ouverture cuivrée, d’une belle vigueur, tout en offrant de beaux climats intimistes comme dans la scène de la forêt. S’il faut s’accrocher pour suivre le méandre des amours contrariés de l’héroïne et de son cher Rinaldo, la mise en scène de Mariame Clément évacue d’emblée toute référence à la magicienne pour mieux ancrer l’ouvrage dans le monde actuel.


La scène d’ouverture est à cet égard éloquente, Armida se débarrassant devant le public des attributs qui lui donnent des faux airs de déesse Athéna. La splendide coiffe guerrière et l’étoffe soyeuse éclatante qui lui recouvre tout le corps font ainsi rapidement place à un habit de tous les jours – jeans et tee-shirt cintrés aux couleurs sombres – lui donnant une allure étonnamment masculine. C’est là l’idée force de Mariame Clément, qui ose faire d’Armida un homme, ceci pour faire résonner les hésitations et troubles de Ronaldo avec l’actualité récente. Enrichi du conflit intérieur sur l’acceptation de son identité, les tiraillements de Rinaldo n’évoquent plus seulement la fidélité aux siens et son attirance pour Armida. Le conflit entre les deux camps chrétien et sarrasin est ainsi habilement transposé en une opposition sociale irréductible entre conservateurs anti-«mariage pour tous» et libéraux en matière de mœurs. Mariame Clément se garde bien de prendre parti pour l’un ou l’autre camp, ne forçant jamais le trait, cette illustration contemporaine lui servant de prétexte à théâtraliser davantage le peu d’action du livret. Un choix audacieux qui se révèle particulièrement efficace dans la scène des vestiaires de tennis, où Ubaldo laisse entrevoir toute l’ambigüité de son «amitié» pour Rinaldo.


On retiendra aussi l’élégante scénographie de Julia Hansen, en forme de décor unique modulable, où un carré central cristallise les tensions internes, tandis que des chaises vides sur les côtés symbolisent les affrontements politiques sous-jacents, théâtre de la vie publique extérieure. Autre atout majeur de cette production, le jeune plateau vocal ici réuni, d’une remarquable homogénéité. A peine pourra-t-on reprocher au ténor Juan Antonio Sanabria une constante recherche du «beau son» qui l’éloigne d’une interprétation plus vibrante de Rinaldo. Mais ça n’est là qu’un détail tant Chantal Santon illumine chacune de ses interventions par son aisance vocale, particulièrement dans les récitatifs, d’un engagement dramatique éloquent. Des récitatifs où Dorothée Lorthiois se montre moins à l’aise, alors qu’elle maîtrise parfaitement tous ses airs – le public ne s’y trompe pas en réservant une ovation aux deux chanteuses à l’issue de la représentation. Autre grande satisfaction avec le chant olympien d’Enguerrand De Hys, «petite voix» très à l’aise dans ce répertoire – on se souvient notamment du remarquable Mitridate donné en début d’année au CNSM.


Enfin, le jeune chef Julien Chauvin insuffle à son orchestre une énergie revigorante, toujours attentif à ne jamais couvrir les voix dans la vaste salle de 1300 places de Saint-Quentin-en-Yvelines. On retrouvera toute cette fine équipe lors d’une vaste tournée à travers toute la France en début d’année prochaine. D’autres dates devraient être annoncées prochainement pour ce spectacle de haute tenue, chaudement recommandé.

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