mardi 13 octobre 2020

« Cresus » de Reinhard Keiser - Johannes Pramsohler - Théâtre de l'Athénée - 10/10/2020

 

Comme chaque année, l’Atelier de recherche et de création pour l’art lyrique (ARCAL), compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, nous propose l’un de ses spectacles phares en tournée à travers toute la France. Après l’excellente production de La Petite renarde rusée en 2016-2017, l’ARCAL semble désormais se tourner vers un répertoire résolument baroque, avec Caligula de Pagliardi en 2017, puis Didon et Enée de Purcell. On retrouve précisément au Théâtre de l’Athénée l’Ensemble Diderot, qui a travaillé l’an passé sur ce dernier spectacle, encore visible pour quelques dates, à Quimper les 18 et 19 novembre prochains, puis à Reims les 18 et 19 février 2021.

En attendant, place au Crésus de Reinhard Keiser (1674-1739), plus célèbre ouvrage lyrique d’un compositeur qui a fait la plus grande partie de sa carrière à Hambourg, peu avant Telemann. Composé en 1711, puis révisé largement en 1730, tant pour les numéros que pour les tessitures, l’opéra est présenté dans cette dernière version, manifestement sans coupure (la durée du spectacle dépasse les trois heures avec un entracte compris), à laquelle ont été apportées quelques modifications pour renforcer la dramaturgie: fusion et réduction de certains rôles, notamment Solon qui chante les airs dévolus à Halimacus, sans qu’il possible de distinguer les deux personnages. En dehors de certains récitatifs un peu trop longs, la musique variée de Kaiser donne beaucoup de plaisir, même si le livret se perd trop dans les méandres amoureux. De même, on pourra s’étonner du titre de l’ouvrage, alors qu’Elmira et Atys occupent bien davantage la scène que le malheureux Crésus, absent d’une grande partie de l’action.

Quoi qu’il en soit, la qualité de l’ensemble justifie la résurrection de cet ouvrage, engagée dès les années 1990 avec les disques de René Clemencic (Nuova Era, 1999), puis René Jacobs (Harmonia Mundi, 2000). Sur scène, quelques autres raretés sont occasionnellement tirées de l’oubli, par exemple Arsinoé à Berlin en 2006 ou La Généreuse Octavia au festival d’Innsbruck en 2017.

 

On ne peut que se féliciter d’avoir fait à nouveau appel à l’excellent ensemble de musique de chambre Diderot, créé en 2009 et élargi en formation d’orchestre dès 2015. Cette spécificité est immédiatement audible, tant chaque pupitre se distingue individuellement à force de détails et de couleurs. De plus, le chef italien Johannes Pramsohler (né en 1980) prend souvent le premier violon dans les parties endiablées, afin de donner davantage de corps à l’ensemble. Globalement, l’ancien élève de Reinhard Goebel oppose le tranchant des passages rapides, très enlevés et sans vibrato, aux parties plus élégiaques, d’un grand raffinement dans l’expressivité. Cet écrin donne beaucoup de contraste et permet aux chanteurs de se distinguer sans forcer. Il est vrai que le plateau vocal réuni pour l’occasion frise la perfection, alors même que le nombre de rôles est considérable.

Ainsi de la lumineuse Elmira de Yun Jung Choi, aussi impériale techniquement dans les accélérations et les vocalises, qu’affirmée au niveau dramatique, ou encore de Marion Grange (Clerida, Trigesta) aux belles couleurs et aux phrasés aériens. On reste aussi bluffé par la prestation d’Inès Berlet (Atys), ivre d’assurance et de musicalité dans un rôle masculin qui lui va comme un gant, tandis que Ramiro Maturana (Crésus) fait montre d’une belle sûreté dans les graves. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, même si on pourra trouver un rien outrées les bouffonneries de Charlie Guillemin (Elcius).

Enfin, la mise en scène déjantée de Benoît Bénichou n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée, apportant beaucoup d’énergie à l’ensemble avec un univers visuel bling-bling aussi fastueux que décadent, très imaginatif dans les costumes et maquillages. Le mélange de superficialité et de cruauté des personnages est ainsi parfaitement rendu tout au long de la soirée. On mentionnera aussi le superbe travail sur les éclairages, très variés, avec de beaux clairs-obscurs qui mettent en valeur les nombreux reflets dorés des costumes et du cube central bien revisité avec son plateau tournant. Bénichou ne se contente pas de la seule folie visuelle et cherche à multiplier les interactions dans les airs, avec un équilibre juste et efficace pour relancer l’action. Un spectacle très réussi, aux outrances assumées, qui ne laissera personne indifférent.

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