mardi 31 août 2021

Concert de Céline Scheen, Philippe Jaroussky et L’Arpeggiata - Christina Pluhar - Festival de Sablé-sur-Sarthe - 27/08/2021

Il est des institutions que l’on croit immuables, à l’instar du Festival international de musique baroque de Sablé-sur-Sarthe, qui a fêté ses quarante ans d’existence voilà déjà trois ans. Si la pandémie a eu raison de l’édition 2020, le péril vient cette fois du non renouvellement de l’excellente conseillère artistique Alice Orange (en place depuis dix ans et en partance pour Lisbonne) et surtout de la volonté de la nouvelle municipalité de bâtir un nouveau festival chargé de «s’inscrire dans le siècle et de s’ouvrir à de nouveaux publics». Prendre le risque de balayer plus de quarante ans de notoriété patiemment construite auprès d’un public fidèle pour lui substituer un festival interchangeable et impersonnel – en d’autres mots qui se contenterait d’accueillir des concerts existants plutôt que de les accompagner et les produire – serait une très mauvaise nouvelle pour tous les habitants de Sablé et bien au-delà. Il ne faut pas voir dans ces craintes l’expression d’un esprit rétif au changement: il est normal que les manifestations évoluent pour construire les publics d’aujourd’hui et demain.
 
Ne peut-on toutefois éviter une tabula rasa qui ferait fi de quarante ans d’expertise et de rayonnement d’envergure nationale (au minimum)? Il serait dommage que la notoriété de Sablé-sur-Sarthe ne repose plus désormais que sur la magnifique abbaye bénédictine voisine, ou pire sur le souvenir d’un ancien Premier ministre, longtemps élu ici. Les nouveaux édiles devraient aussi réfléchir à deux fois s’ils pensent qu’il suffit de sortir le carnet de chèques pour accueillir dans la troisième ville de la Sarthe les grands noms d’aujourd’hui et de demain. Il faut autant un carnet d’adresses qu’un projet artistique pour attirer Christophe Rousset, Philippe Jaroussky et leurs homologues moins connus du grand public, mais tout aussi talentueux: on pense par exemple au brillant et chaleureux Dmitry Sinkovsky, invité cette année autour d’un passionnant programme mettant en miroir musiques baroque et contemporaine. Loin d’un élitisme fantasmé, le festival, dans son format actuel, tente aussi de briser le «troisième mur» en rapprochant les spectateurs des interprètes, à la fois lors des repas sur l’herbe qu’à l’occasion des événements participatifs («Venez chanter avec Bach» avec l’ensemble Sequenza 9.3, par exemple). On pourrait aussi citer les événements gratuits en plein air, autour des musiques populaires celtes et gaéliques ou encore des danses de cour, à chaque fois avec un échange pédagogique enthousiaste avec l’assistance. N’est-ce pas là l’occasion de drainer de nouveaux publics, attirés par ces propositions originales? La nomination à l’automne du successeur d’Alice Orange permettra d’y voir plus clair et de lever, espérons-le, toutes les ambiguïtés autour de l’ambition artistique des prochaines manifestations.
En attendant, l’édition 2021 aura marqué les esprits avec le concert mémorable de Christina Pluhar et son public nombreux réuni dans l’église principale de Sablé. La théorbiste autrichienne, qui vit en France depuis de nombreuses années, a travaillé avec les plus grands noms de la musique baroque avant de créer l’ensemble L’Arpeggiata en 2000. Depuis lors, sa curiosité pour l’exploration du répertoire (voir par exemple à Aix-en-Provence en 2010 ), autant que sa direction expressive et sensuelle, lui valent l’admiration d’une large audience. Les extraits méconnus des oratorios d’Antonio Caldara (1670-1736), donnés en première partie de concert, montrent combien de nombreux trésors lyriques attendent encore leur redécouverte. Il faut dire que le geste narratif de Pluhar envoûte d’emblée en sculptant les phrasés en un tempo volontairement retenu – la musique semblant se former peu à peu, comme issue d’un chaos impalpable. Cet accompagnement de velours permet de mettre les deux interprètes au premier plan, ce dont se saisit d’emblée Céline Scheen (née en 1976), à l’aisance technique confondante, sans parler de son tempérament dramatique vibrant. Son visage expressif s’illumine tout au long de la soirée, donnant à voir toute la sincérité du plaisir de partager ces retrouvailles au sommet, multipliant les gestes envers son partenaire, davantage sur la réserve. On a parfois l’impression de revivre ces images délicieuses où Marie-Nicole Lemieux tentait malicieusement de provoquer le jeune Jaroussky, lors de leurs premières prestations au Théâtre des Champs-Elysées à Paris (voir notamment en 2003).
 
A ses côtés, Philippe Jaroussky (né en 1978) fait l’étalage de toute sa classe, et ce malgré un timbre qui commence à perdre en superbe avec les années. Mais ce n’est là qu’un détail tant le contre-ténor se joue des difficultés vocales, avec une attention millimétrée au texte, imposant des phrasés souples et élégants. En seconde partie de soirée, le Stabat Mater de Pergolèse poursuit sur ces cimes, autant dans l’émotion pudique des premières mesures que dans les joutes plus opératiques de la dernière partie de l’ouvrage. Les interprètes reçoivent une ovation méritée en fin de représentation, avant de nous régaler en bis du duo final du Couronnement de Poppée de Monteverdi – «aussi beau que ce qui précède», selon les mots de Jaroussky adressés à l’assistance ravie.

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