Créé en 2018 à Madrid, puis à Paris trois ans plus tard, la production de Turandot (1924) de Giacomo Puccini imaginée par Robert Wilson fait son retour à l’Opéra Bastille devant une salle comble et manifestement garnie de nombreux touristes, dont de nombreux italiens et américains.
Il faut dire que l’événement de cette reprise est bien d’assister aux débuts in loco de Tamara Wilson (aucun lien de parenté avec le metteur en scène), qui nous avait déjà ébloui dans le rôle-titre voilà quelques mois à Amsterdam : son naturel d’émission sur l’ensemble de la tessiture est un régal tout du long, qui permet à la soprano venue d’Arizona d’affronter toutes les difficultés de ce rôle impossible, imposant autant des piani d’un raffinement vénéneux que des aigus dantesques. Frisson garanti pour chacune de ses apparitions ! On ne peut que se féliciter du flair d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris depuis 2021, pour nous faire découvrir les grandes voix émergentes de notre temps, au-delà des têtes d’affiche déjà bien connues : il faudra désormais compter avec Mme Wilson. Attention toutefois à bien choisir sa date pour ce spectacle, car le rôle est tenu par d’autres chanteuses selon les soirées. Il est indispensable de réserver dès à présent les prochains spectacles parisiens où sera présente cette artiste : le rare Beatrice di Tenda de Bellini, donné ici-même en février prochain, ou encore Adriana Lecouvreur de Cilea (le 5 décembre) et La Walkyrie de Wagner (le 4 mai 2024), à chaque fois au Théâtre des Champs-Elysées.
Un autre chanteur de premier plan tient le rôle de Calaf avec un bel aplomb dramatique : Brian Jagde s’impose dans ce rôle autour d’aigus rayonnants, même si les graves bien tenus sont un peu plus en retrait. On aime aussi la Liù d’Ermonela Jaho qui subjugue par son attention au texte et ses pianissimi de rêve, tout en portant une attention de tous les instants à la souplesse des changements de registre. Seul le vibrato audible peut apporter quelques réserves mineures. A ses côtés, Mika Kares compose un Timur de grande classe, aussi vibrant d’émotion que de facilité dans l’émission idéalement projetée. Si Carlo Bosi (Altoum) et Guilhem Worms (Un mandarin) assurent bien leur partie, les trois lurons Ping, Pang et Pong déçoivent en comparaison, surtout un pâle Florent Mbia au niveau interprétatif. Si le Choeur de l’Opéra de Paris montre une belle préparation, on ne peut pas en dire autant de la direction de Marco Armiliato, qui n’évite pas de nombreux décalages avec le plateau. Gageons que les prochaines représentations viendront gommer ces approximations, permettant de se délecter du geste tout en mesure du chef italien, très raffiné dans l’exploration et l’étagement des alliages de timbres de la partition. Il lui reste désormais à davantage différencier les tableaux entre eux, notamment les parties grandiloquentes, insuffisamment nerveuses.
Quel plaisir de retrouver Robert Wilson (qui vient de fêter ses 82 ans) en fin de représentation, sous les vivats de l’assistance : de quoi démontrer toute l’affinité de l’artiste avec le public français, qui a largement accompagné et soutenu son travail, tout au long de sa carrière. Sa Turandot n’a pas pris une ride, d’une perfection plastique magnifiée par l’attention millimétrée aux éclairages (nombreux contre-jours) jusqu’aux costumes très stylisés. L’exploration géométrique de la large scène de Bastille est un régal constant, même si la nudité du plateau n’aide pas les chanteurs au niveau acoustique. La direction d’acteur intrigue toujours autant par ses poses répétitives aux relents hypnotiques : on a souvent l’impression d’assister à un ballet de marionnettes, à moins qu’il ne s’agisse de personnages tout droits sortis d’une boite à musique ? Quoi qu’il en soit, le spectateur scrute les détails, poussant toujours plus avant l’exploration de la psyché de Turandot et surtout Calaf, véritable prédateur (ne tient-il pas la robe rouge de Turandot dès la fin du II, dans les hauteurs ?). Un spectacle passionnant, porté par une très belle distribution, à découvrir ou redécouvrir jusqu’à la fin du mois.
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