Mikhaïl Pletnev |
Difficile d’imaginer figure plus fascinante à regarder que celle de
Mikhaïl Pletnev (né en 1957), qui semble savoir tout faire au piano, en
une facilité déconcertante, presque nonchalante. C’est l’impression qui
ressort immédiatement au sortir du concert consacré aux deux premiers
concertos de Rachmaninov, dans le superbe auditorium de Radio France,
rempli à craquer pour l’événement. Le choix d’honorer la musique
concertante de Rachmaninov en deux soirées (auxquelles manquent
toutefois la Rhapsodie sur un thème de Paganini) n’est pas tout à
fait le fruit du hasard, puisque Pletnev a souhaité mettre en avant un
compositeur ayant fui la Russie, tout comme lui. Rappelons en effet
qu’il a été démis en 2022 de ses fonctions à la tête de l’Orchestre
national de Russie, qu’il dirigeait depuis sa fondation en 1990. Cette
décision a immédiatement motivé la création en 2023 d’un nouvel ensemble
regroupant de nombreux musiciens russes en dissidence, appelé
l’Orchestre international Rachmaninov.
Avant de pouvoir découvrir cet orchestre en France, on se réjouit de
retrouver au piano l’ancien premier prix du concours Tchaïkovski
en 1978, lui qui a longtemps privilégié la direction, tout comme la
composition. Il est accompagné par un Philharmonique de Radio France
manifestement bien préparé pour l’occasion : à plusieurs reprises,
Pletnev se tourne vers les vents pour hocher de la tête, comme ravi de
leur prestation. Les réflexes du chef sont toujours bien là !
L’orchestre est dirigé par Dima Slobodeniouk (né en 1975), qui relève le
pari de suivre les phrasés toujours inventifs et surprenants de
Pletnev. On est parfois surpris par quelques traits massifs dans les
tutti, qui donnent un élan rapsodique à l’ensemble, en couvrant
légèrement le piano. En dehors de ces ponctuations rageuses, le chef
finlandais d’origine russe privilégie l’allégement des textures, en une
lecture analytique proche de celle du soliste.
Dima Slobodeniouk |
On se réjouit de pouvoir entendre le Premier Concerto
(1891/1917), plus rare au concert que son successeur immédiat, composé
en 1901. Ce premier opus trouve une hauteur de vue inattendue avec
Pletnev qui explore chaque recoin de la partition, en un souci du détail
millimétré, aux notes bien déliées. Aucun maniérisme à l’horizon, tant
le Russe s’attache à nuancer chacune de ses interventions,
délicieusement imprévisibles. C’est bien cette incertitude qui fait tout
le prix de cette interprétation, à laquelle on s’abandonne dans un
confort ouaté et privé de tout pathos.
Après l’entracte, le Deuxième Concerto (1901) surprend davantage,
tant son aspect dramatique est lissé par le ralentissement des tempi :
on se laisse ensorceler par le magicien du piano qu’est Pletnev, qui ose
une lecture séquentielle et toujours très personnelle. Il y a comme une
sorte d’évidence dans cette lecture sans esbroufe, tandis que
l’accompagnement se fait plus sec en comparaison. A l’issue de sa
prestation et des premiers applaudissements, le pianiste se tourne vers
le premier violon Hélène Collerette pour recueillir son assentiment pour
un unique bis, le Deuxième des trois Nocturnes opus 9 de Chopin,
avant de revenir sur sa promesse pour gratifier l’assistance d’un
ultime bijou de raffinement rythmique, la Sixième des quinze Etudes de virtuosité de Moritz Moszkowski (1854‑1925). On peut bien entendu choisir d’entendre ou réentendre ce concert sur France Musique
ou patienter jusqu’au 7 novembre prochain pour applaudir à la Halle aux
grains les mêmes interprètes, entourés cette fois de l’Orchestre
national du Capitole de Toulouse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire