jeudi 26 septembre 2024

« Les Brigands » de Jacques Offenbach - Barrie Kosky - Opéra Garnier à Paris - 24/09/2024

Tout dernier chef‑d’œuvre de la période la plus heureuse d’Offenbach, celle précédant la guerre contre la Prusse, Les Brigands (1869) ont connu une reconnaissance tardive, suite au succès de la production de Jérôme Deschamps promue par l’Opéra de Paris en 1993, puis reprise à l’Opéra Comique en 2011. Offenbach n’étant pas davantage prophète dans son pays d’origine, ce même ouvrage a dû attendre le mois de janvier de cette année pour se voir honoré d’une première à Francfort, dans la langue de Goethe.

C’est d’autant plus surprenant que l’inspiration musicale du « Petit Mozart des Champs‑Elysées » (comme il fut surnommé en son temps) pétille d’une énergie débridée dès l’Ouverture, pour ne plus lâcher ensuite les auditeurs, dont certains continuent de siffloter (littéralement) les mélodies entêtantes pendant l’entracte. Comme souvent, Offenbach se régale d’un livret désopilant, conçu par ses habituels partenaires Henri Meilhac et Ludovic Halévy pour cette production, les dialogues ont été modernisés de fond en comble par le dramaturge Antonio Cuenca Ruiz, sans éviter quelques facilités, tout en correspondant parfaitement à la volonté du metteur en scène Barrie Kosky de « faire entrer Les Brigands dans le XXIe siècle ».

Et c’est peu dire que ça décoiffe dès l’Ouverture en une ambiance visuelle déjantée, entre glam queer et joyeux bazar, évoquant la folie ravageuse des premiers films underground de John Waters et son égérie obèse, la travestie Divine. C’est sous les traits de cette dernière qu’apparaît le chef des brigands Falsacappa, au maquillage aussi outrancier que sa robe rouge vif moulante, tout en étant entouré d’une bande de bras cassés, aux physiques aussi dissonants que leurs accoutrements hauts en couleur. On pense immédiatement à un autre projet concomitant (nommé pour représenter la France aux Oscars 2025), l’excellent mais improbable film Emilia Pérez de Jacques Audiard, qui met en avant le parcours d’un baron de la drogue amené à changer de sexe pour aborder une nouvelle vie, le tout sous forme de comédie musicale.


Dans l’un et l’autre cas, le propos consiste à faire voler en éclat notre propension à se laisser facilement duper par les apparences, en lien avec le message déjà promu par Offenbach et ses librettistes en 1869 : les accoutrements varient, mais les voleurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit, en pouvant se cacher sous les habits éclatants des plus sérieux représentants de nos élites, dont le personnel politique. La tirade corrosive de l’humoriste Sandrine Sarroche (plus à l’aise au niveau théâtral que vocal) va dans cet esprit en étrillant le bilan budgétaire de nos gouvernants sur les quarante dernières années, et plus particulièrement la période récente, jusqu’à renommer le Palais Garnier au nom du nouveau Premier ministre Michel Barnier...

La mise en scène de Barrie Kosky se régale de cette satire en insufflant une énergie de tous les instants, aux accents volontairement grotesques, qui tourne parfois en rond à force de répétition, mais reste toujours dans l’esprit de l’ouvrage. L’omniprésence et la performance physique des danseurs impressionnent tout du long, en faisant écho au mauvais goût revendiqué des minorités face au miroir de l’élégance ostentatoire et ridicule des Espagnols ou de l’austérité fallacieuse des Italiens.


On ne pouvait sans doute trouver meilleur interprète que Marcel Beekman, dont la ressemblance physique est frappante avec Divine, tout en faisant l’étalage d’une maîtrise quasi parfaite du français dans les dialogues, en un sens de l’articulation millimétré. Son abattage comique comme son aplomb scénique sont pour beaucoup dans la crédibilité apportée à son personnage, qui parvient à trouver le ton juste, jusque dans les ressorts les plus extravagants de la farce. Le ténor néerlandais est parfaitement épaulé par un désopilant Rodolphe Briand (Pietro), qui rivalise de balourdise en amant SM décérébré, de même qu’une Antoinette Dennefeld (Fragoletto) dont on pourrait croire qu’elle est née pour ce répertoire, tant son aisance est patente. On ne peut malheureusement en dire autant de Marie Perbost (Fiorella), qui déçoit par son manque d’agilité dans les passages rapides, comme sa projection souvent inaudible dans le medium. Fort heureusement, l’Opéra de Paris réunit une distribution de grande classe pour les seconds rôles, des chevronnés et superlatifs Philippe Talbot (le comte de Gloria‑Cassis), Mathias Vidal (le duc de Mantoue) ou Laurent Naouri (le chef des carabiniers) à l’impressionnante jeunesse vocale d’Adriana Bignagni Lesca en princesse de Grenade, aux interventions plus viriles qu’attendu.

Si le Chœur de l’Opéra de Paris assure bien sa partie, on est surtout séduit par la direction vive et pleine d’esprit de Stefano Montanari, qui enchante par ses phrasés souples et naturels, sans jamais couvrir le plateau. De quoi inciter à découvrir cette nouvelle production à la mise en scène certes peu consensuelle, mais dont les audaces accompagnent la charge satirique de l’ouvrage sans aucun temps mort.

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