Tout dernier chef‑d’œuvre de la période la plus heureuse d’Offenbach, celle précédant la guerre contre la Prusse, Les Brigands
(1869) ont connu une reconnaissance tardive, suite au succès de la
production de Jérôme Deschamps promue par l’Opéra de Paris en 1993, puis
reprise à l’Opéra Comique en 2011. Offenbach n’étant pas davantage prophète dans son pays d’origine, ce même ouvrage a dû attendre le mois de janvier de cette année pour se voir honoré d’une première à Francfort, dans la langue de Goethe.
C’est d’autant plus surprenant que l’inspiration musicale du « Petit
Mozart des Champs‑Elysées » (comme il fut surnommé en son temps) pétille
d’une énergie débridée dès l’Ouverture, pour ne plus lâcher ensuite les
auditeurs, dont certains continuent de siffloter (littéralement) les
mélodies entêtantes pendant l’entracte. Comme souvent, Offenbach se
régale d’un livret désopilant, conçu par ses habituels partenaires Henri
Meilhac et Ludovic Halévy pour cette production, les dialogues ont
été modernisés de fond en comble par le dramaturge Antonio Cuenca Ruiz,
sans éviter quelques facilités, tout en correspondant parfaitement à la
volonté du metteur en scène Barrie Kosky de « faire entrer Les Brigands dans le XXIe siècle ».
Et c’est peu dire que ça décoiffe dès l’Ouverture en une ambiance visuelle déjantée, entre glam queer et joyeux bazar, évoquant la folie ravageuse des premiers films underground
de John Waters et son égérie obèse, la travestie Divine. C’est sous les
traits de cette dernière qu’apparaît le chef des brigands Falsacappa,
au maquillage aussi outrancier que sa robe rouge vif moulante, tout en
étant entouré d’une bande de bras cassés, aux physiques aussi dissonants
que leurs accoutrements hauts en couleur. On pense immédiatement à un
autre projet concomitant (nommé pour représenter la France aux Oscars
2025), l’excellent mais improbable film Emilia Pérez de Jacques
Audiard, qui met en avant le parcours d’un baron de la drogue amené à
changer de sexe pour aborder une nouvelle vie, le tout sous forme de
comédie musicale.
Dans l’un et l’autre cas, le propos consiste à faire voler en éclat
notre propension à se laisser facilement duper par les apparences, en
lien avec le message déjà promu par Offenbach et ses librettistes en
1869 : les accoutrements varient, mais les voleurs ne sont pas toujours
ceux que l’on croit, en pouvant se cacher sous les habits éclatants des
plus sérieux représentants de nos élites, dont le personnel politique.
La tirade corrosive de l’humoriste Sandrine Sarroche (plus à l’aise au
niveau théâtral que vocal) va dans cet esprit en étrillant le bilan
budgétaire de nos gouvernants sur les quarante dernières années, et plus
particulièrement la période récente, jusqu’à renommer le Palais Garnier
au nom du nouveau Premier ministre Michel Barnier...
La mise en scène de Barrie Kosky se régale de cette satire en insufflant
une énergie de tous les instants, aux accents volontairement
grotesques, qui tourne parfois en rond à force de répétition, mais reste
toujours dans l’esprit de l’ouvrage. L’omniprésence et la performance
physique des danseurs impressionnent tout du long, en faisant écho au
mauvais goût revendiqué des minorités face au miroir de l’élégance
ostentatoire et ridicule des Espagnols ou de l’austérité fallacieuse des
Italiens.
On ne pouvait sans doute trouver meilleur interprète que Marcel Beekman,
dont la ressemblance physique est frappante avec Divine, tout en
faisant l’étalage d’une maîtrise quasi parfaite du français dans les
dialogues, en un sens de l’articulation millimétré. Son abattage comique
comme son aplomb scénique sont pour beaucoup dans la crédibilité
apportée à son personnage, qui parvient à trouver le ton juste, jusque
dans les ressorts les plus extravagants de la farce. Le ténor
néerlandais est parfaitement épaulé par un désopilant Rodolphe Briand
(Pietro), qui rivalise de balourdise en amant SM décérébré, de même
qu’une Antoinette Dennefeld (Fragoletto) dont on pourrait croire qu’elle
est née pour ce répertoire, tant son aisance est patente. On ne peut
malheureusement en dire autant de Marie Perbost (Fiorella), qui déçoit
par son manque d’agilité dans les passages rapides, comme sa projection
souvent inaudible dans le medium. Fort heureusement, l’Opéra de Paris
réunit une distribution de grande classe pour les seconds rôles, des
chevronnés et superlatifs Philippe Talbot (le comte de Gloria‑Cassis),
Mathias Vidal (le duc de Mantoue) ou Laurent Naouri (le chef des
carabiniers) à l’impressionnante jeunesse vocale d’Adriana Bignagni
Lesca en princesse de Grenade, aux interventions plus viriles
qu’attendu.
Si le Chœur de l’Opéra de Paris assure bien sa partie, on est surtout
séduit par la direction vive et pleine d’esprit de Stefano Montanari,
qui enchante par ses phrasés souples et naturels, sans jamais couvrir le
plateau. De quoi inciter à découvrir cette nouvelle production à la
mise en scène certes peu consensuelle, mais dont les audaces
accompagnent la charge satirique de l’ouvrage sans aucun temps mort.
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