Lahav Shani |
Partenaire régulier de la scène du Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam fait son retour à Paris sous la baguette de son directeur musical Lahav Shani (né en 1989), qui a pris la succession de Yannick Nézet Séguin voilà déjà six ans. Le chef israélien a depuis multiplié les engagements, à l’instar de son aîné québécois, en prenant les rênes des Philharmoniques d’Israël et de Munich. Mais si Shani est incontestablement un des chefs en vogue du moment, le public parisien a surtout fait le déplacement pour entendre l’éternelle prodige du piano qu’est Martha Argerich (née en 1941) : on se surprend toujours à redécouvrir son âge vénérable, tant le temps ne semble avoir aucune prise sur son art.
C’est peu dire que l’Argentine n’a rien perdu de son piano véloce et fougueux, qui concentre immédiatement l’attention dès les premières notes du Troisième Concerto (1945) de Bartók. Si cet ultime opus n’est pas réputé pour être le plus virtuose parmi les autres ouvrages concertants du compositeur hongrois, il trouve ici des phrasés à la lisibilité lumineuse, d’une franche autorité, qui contrastent avec la battue plus discrète de Shani. Le chef israélien n’est pas un sanguin, tant s’en faut, et préfère une battue fluide et naturelle, qui laisse la primauté au soliste. Il y a bien quelques détails fouillés ici et là, en ralentissant ostensiblement les tempi (une constante de la soirée), mais sans volonté d’explorer les modernités en clair-obscur de cette musique audacieuse en son temps.
Martha Argerich |
Préalablement à ce moment de bravoure, la création française de l’Ouverture pour orchestre Con Spirito (2024) de Joey Roukens (né en 1982) avait été donnée pour chauffer l’orchestre, en une maestria festive faisant honneur à son modèle avoué Leonard Bernstein. Le style coloré et chaloupé joue la carte d’une rythmique souvent effrénée, ponctuée par les nombreuses percussions, mais manque d’originalité pour convaincre sur la durée. On découvre pour l’occasion le nouveau dispositif acoustique mis en place par le Théâtre des Champs-Elysées depuis la rentrée, qui offre incontestablement un confort sonore plus détaillé pour chaque groupe d’instruments. Cette réussite devrait encore s’améliorer au fil de la saison, après la mise en œuvre des ajustements encore nécessaires.
Après l’entracte, la Neuvième Symphonie (1893) de Dvorák résonne en des tempi assez sages, étoffés d’une mise en place redoutable de précision, notamment dans les transitions. On reste cependant sur sa faim face à cette interprétation d’un classicisme sans brillant, qui manque d’individualité dans les timbres, souvent trop neutres, du Philharmonique de Rotterdam. Seule exception, le beau solo du cor anglais dans le Largo, qui trouve une sorte d’évidence par son chant suave, et ce malgré quelques bruits extérieurs parasites (une porte qui claque bruyamment ou des toux irrépressibles dans le public). Le Molto vivace trouve ensuite Shani à son meilleur, en tournant ce mouvement vers l’allégresse primesautière d’un Brahms, en une rondeur d’interprétation qui lisse les angles pour mieux faire valoir la mélodie principale. On retrouve ce parti-pris dans le dernier mouvement, plus franc et direct aux cordes, malgré quelques ralentissements dans les passages lyriques, souvent explorés dans les piani. Une interprétation volontiers classique, à la mise en place quasi parfaite, mais trop prévisible. Dommage.
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