Dix ans après la reprise du spectacle de Patrice Caurier et Moshe Leiser, Angers Nantes Opéra s’offre une nouvelle production de La Flûte enchantée.
Déjà présentée à Rennes début mai, cette proposition imaginée par
Mathieu Bauer, dont c’est la deuxième incursion dans le domaine
lyrique après The Rake’s Progress de Stravinski (toujours à Rennes, en 2022),
émerveille par sa fantaisie lumineuse : en plongeant l’auditeur dans
les mystères d’une fête foraine au charme d’antan, le récit s’entremêle
dans les méandres des différents manèges, en un décor unique revisité
avec brio.
Le metteur en scène français Mathieu Bauer (né en 1971), directeur du
Théâtre de Montreuil entre 2011 et 2022, poursuit son exploration du
répertoire lyrique avec bonheur, lui a qui a toujours montré une
propension à inclure la musique dans ses pièces de théâtre, en
n’hésitant pas à jouer de la batterie dans la plupart de ses spectacles.
Si la partition de Mozart n’offre guère l’opportunité d’inclure de
telles audaces, ce dont les puristes ne se plaindront guère, c’est
davantage du côté théâtral que Bauer s’exprime, en cherchant à rendre
plus lisible le récit, aux nombreux personnages. L’idée de présenter
chacun d’entre eux au début, via le personnage de Sarastro
transformé en maître de cérémonie, permet ainsi une meilleure
compréhension pour le profane, tandis que le dévoilement de l’ensemble
des éléments scénographiques incite à mettre à distance les artifices de
la scène et mieux se concentrer sur le texte.
On se régale de la finesse et de la malice de chaque détail du décor,
exploré par les personnages tout du long, tout autant que des costumes
décalés, qui rendent hommage aux années 1960‑1970 (façon hôtesses de
l’air pour les trois Dames ou membres du vaisseau Star Trek pour les
religieux). Bauer évite de démêler les allusions maçonniques, souvent
évoquées dans le double récit initiatique de Tamino et Papageno, pour
privilégier une sorte d’ambiance rêveuse et bon enfant, dont l’issue
favorable ne fait aucun doute. Dans cette optique, tout aspect manichéen
est minoré, pour brosser le profil de méchants délicieusement
inoffensifs, aux maladresses burlesques et attachantes (au début du II
notamment). Bauer a aussi la bonne idée de développer la scène d’ivresse
de Papageno, osant des allers‑retours savoureux dans les dialogues en
français et allemand. Outre quelques clins d’œil poétiques lors d’une
chorégraphie façon boîte à musique, on aime la fin en forme de concorde
entre tous les personnages, chœur compris, comme si la multiplicité des
trajectoires possibles pour réussir sa vie se voyait conciliée, sans
privilégier celle du philosophe Tamino ou du terrestre Papageno.
Malgré quelques verdeurs en tout début d’Ouverture, l’Orchestre national de Bretagne se chauffe peu à peu pour épouser la vision chambriste du jeune chef québécois Nicolas Ellis (né en 1991), entre fluidité des transitions et mise en valeur du plateau vocal. Il faut courir applaudir ce spectacle très réussi en salle ou en plein air, qui sera retransmis gratuitement le mercredi 18 juin prochain sur pas moins de quatre‑vingt‑cinq écrans de l’ouest de la France jusqu’en Allemagne (à Sarrebruck).