lundi 21 juillet 2025

Concert de Julia Campens et Stanley Smith - Festival du Haut-Limousin à Villefavard - 20/07/2025

Louis-Noël Bestion de Camboulas

Après s’être intéressé aux « Rebel de père en fils » pour leur premier album paru en 2013 (Ambronay Editions), l’ensemble Les Surprises s’intéresse cette fois à la dynastie des Bach, dont quatre des fils ont suivi la même destinée artistique. Seuls deux d’entre eux, issus du premier mariage de Jean‑Sébastien, sont ici illustrés musicalement, en une confrontation stimulante avec d’autres contemporains, Georg Böhm, Georg Stölzel et Johann Ludwig Krebs. A la manière d’un pasticcio, le programme regroupe plusieurs extraits recomposés, en « piochant » parmi les nombreuses œuvres des compositeurs précités, plus ou moins illustres. Déjà reconnu du vivant de son père (mort en 1750), Carl Philipp Emanuel fut ainsi plus célèbre de son vivant, ce qui explique pourquoi sa musique trouve une place généreuse dans ce programme.

 
C’est précisément un Allegro endiablé de l’un de ses concertos pour clavecin que l’on retrouve pour ouvrir le programme, dans le style sautillant et enjoué caractéristique de ce précurseur de Haydn. La partie soliste redoutable bénéficie du clavecin félin et véloce de Louis‑Noël Bestion de Camboulas, qui dirige du clavier et dos tourné au public, à l’instar des habitudes de l’époque. D’emblée, le premier violon trop effacé et flottant de Gabriel Grosbard peine à affronter les passages virtuoses, là où les parties plus lyriques le voient plus à son aise. Fort heureusement, le reste des troupes se régale des tempi allants du chef, se jouant de la richesse des lignes entremêlées de Jean‑Sébastien Bach, sans aucun temps mort.

Après les effluves un rien lancinants de la Sinfonia de Georg Böhm, le concert prend une autre dimension avec l’entrée en piste de Marc Mauillon, qui semble comme un poisson dans l’eau dans ce répertoire. L’aisance du chanteur français impressionne autant par l’étendue de sa tessiture (du baryton au ténor) que par la fluidité de ses phrasés, d’une souplesse de transition aux infinies nuances. Sa classe interprétative impressionne durablement grâce au tube du programme, l’aria « Bist du bei mir » de Georg Stölzel, et ce d’autant plus qu’on le retrouve donné en bis, en fin de soirée. Percutant et engagé, le style de Carl Philipp Emanuel sait ensuite s’assagir dans un Andante de sonate d’une belle intériorité, avant de retrouver une virtuosité rythmique enivrante dans l’extrait symphonique.

Avec Telemann, on pénètre un style autrement plus dépouillé, autour d’une mélodie principale particulièrement mise en avant. Mais c’est bien entendu Jean‑Sébastien Bach qui trouve une ampleur symphonique impressionnante de hauteur dans l’aria « Gleich wie die wilden Meereswellen », tandis que Mauillon se joue des vocalises en une belle maestria dans les graves. La conclusion noble et apaisée du choral « Was Gott tut, das ist wohlgetan » nous rappelle que Bach père est bien le maître incontesté de la cantate sacrée, que l’on ne se lasse pas d’admirer.

dimanche 20 juillet 2025

Concert de Julia Campens et Stanley Smith - Festival du Haut-Limousin à Villefavard - 19/07/2025

 

Pour sa vingt-septième édition, le Festival du Haut Limousin organisé par la Ferme de Villefavard propose de nombreuses manifestations originales (dont des balades musicales urbaines), appelées à faire vivre la culture sur un territoire de tradition agricole. Il fallait certainement de l’audace pour imaginer qu’un village de 164 habitants puisse accueillir l’un des festivals les plus attachants de la région, tout autant qu’une résidence d’artistes et un lieu d’enregistrement discographique renommé (voir notamment l’album « Tyrannic Love » en 2022).

Dans les pas prestigieux de l’abbaye d’Ambronay, la Ferme de Villefavard en Limousin est devenue en 2022 le vingtième lieu français à recevoir le label « Centre culturel de rencontre », qui permet de donner une nouvelle destination à des monuments historiques ayant perdu leur vocation d’origine : ainsi de cette « ferme modèle » à sa création, dont les méthodes préindustrielles avaient pour but d’améliorer les conditions de vie des paysans. Créée par des descendants de la femme du chef d’orchestre Charles Munch, la ferme bénéficie aujourd’hui de vastes espaces entièrement rénovés, dont la construction d’un auditorium intimiste d’un peu plus de 300 places. L’excellente acoustique, signée par Albert Yaying Xu, fait bien entendu la part belle au bois, offrant autant une réverbération idéale qu’un aspect chaleureux.

Pour cette édition 2025, on retrouve dans ce cadre un duo de passionnés, en la personne de Julia Campens et Stanley Smith, organisateurs du festival Le Temps suspendu dans la région voisine du Centre-Val de Loire. Fondateurs de l’ensemble The Smoky House, les musiciens essaient de mieux faire connaître, depuis trois ans, le répertoire des airs anglais, irlandais et écossais, patiemment recueillis au XIXe siècle par de nombreux spécialistes, dont John Sutherland et Simon Fraser. Lors de pauses bienvenues pendant le concert, Stanley Smith prend la parole pour expliquer son projet, se félicitant notamment des possibilités actuelles d’accès gratuit en ligne à de nombreuses partitions inédites. On part ainsi en un vaste voyage à la découverte d’un patrimoine méconnu, qui donne une grande part aux danses populaires enjouées.

On imagine plusieurs fois en pensée ce que devaient être ces soirées de groupe, où alternaient récits et légendes issus de la tradition orale avec des moments de déhanchement endiablés sur la piste. Très bien conçu, le programme joue la carte d’émotions tout aussi variables en intensité, faisant notamment entendre un passage presque murmuré à la viole solo ou certaines sonorités proches de la... cornemuse. On note certes un déséquilibre entre l’esprit plus réservé et policé de Stanley Smith, là où Julia Campens gratte davantage son violon, en une vitalité nerveuse, aux accents bienvenus, parfaitement en phase avec ce répertoire. Pour autant, certains aspects répétitifs de cette musique agacent autant qu’ils fascinent, entre transe hypnotique et passages volontiers plus nostalgiques. Le bis tout en douceur donne une conclusion toute en évocation et en sensibilité, à même, manifestement, de ravir le public, où l’on remarquait plusieurs anglophones.

dimanche 13 juillet 2025

Concert du Philharmonique de Radio France - Kirill Karabits - Festival Radio France à Montpellier - 11/07/2025

Kirill Karabits

Annoncée souffrante, Mirga Grazinytė-Tyla renonce finalement à ce concert, dont le programme est incontestablement l’un des plus originaux et stimulants parmi les grandes soirées du Festival Radio France Occitanie Montpellier 2025. Pour la remplacer, on est heureux de retrouver le chef Kirill Karabits (ou Kyrylo Karabyts dans sa version ukrainienne), qui fut chef associé du Philhar’ (2002‑2005), puis du Philharmonique de Strasbourg (2005‑2007). Tout en occupant la direction de l’Orchestre symphonique de Bournemouth entre 2009 et 2024, l’Ukrainien a gardé de bonnes relations avec les formations françaises, en remplaçant au pied levé plusieurs chefs défaillants par le passé (voir notamment à Paris en 2012 ou à Strasbourg en 2022).

C’est donc un chef expérimenté que l’on retrouve à la tête du Philhar’, pour une soirée de musique française et anglaise débutant par les Quatre Interludes marins (1945) de Britten. Les quatre pages tirées de l’opéra Peter Grimes illustrent tout le savoir‑faire du Britannique en matière de virtuosité d’orchestration. Karabits se régale des changements d’atmosphère avec un style toujours probe, en un sens des transitions admirable de fluidité. Dans la troisième pièce (« Clair de lune »), son geste classique et sans ostentation rapproche Britten du style néoclassique de Copland, aux lignes claires et transparentes.

Marie-Ange Nguci

Le contraste n’en est que plus grand avec le Deuxième Concerto pour piano (1868) de Saint‑Saëns, où le compositeur français se tourne vers Beethoven, entre rigueur de la forme et mise en valeur de la mélodie principale. Quelques semaines après avoir entendu Alexandre Kantorow dans le même ouvrage à la Philharmonie de Paris, place cette fois à la pianiste Marie‑Ange Nguci (née en 1997). Née en Albanie mais formée en France, cette interprète s’est manifestement spécialisée dans ce répertoire, puisqu’elle a donné le même concerto l’an passé à Lyon. Disons d’emblée que sa prestation n’a pas comblé toutes les attentes, du fait d’un toucher trop peu imaginatif, qui manque de respiration. Il faut donc avant tout se tourner vers l’aspect technique, admirable de bout en bout, pour apprécier son jeu, que l’on souhaite toutefois voir évoluer vers davantage de profondeur interprétative. En bis, la cadence finale du Concerto pour la main gauche de Ravel séduit davantage par sa vélocité endiablée.

Après l’entracte, le fracas sonore de la Symphonie L’Ange exterminateur (2020) de Thomas Adès (né en 1971), tirée de l’opéra éponyme, vient réveiller la salle de toute son insolence volontairement grotesque. Les effets de masse voulus par le Britannique, entre ruptures incessantes et mélodies hachées, se jouent de tous les contrastes. Parmi les moments les plus réussis figurent le ralentissement progressif des tempi, où le discours narratif semble progressivement se désagréger. Un rien trop sonores, les cuivres impriment leur cadence martiale, face à un chef attentif à la mise en place.

Le meilleur de la soirée est encore à venir, avec La Mer (1905) : le chef‑d’œuvre orchestral de Debussy trouve dans le Philhar’ un interprète pour qui cette musique n’a pas de secret, entre raffinement des textures et mise en valeur des timbres. Karabits empoigne les trois mouvements d’une énergie roborative, en opposant chants et contrechants. Cette lecture exaltante, aux tempi vifs, laisse parfois trop de place aux cuivres, là encore un rien trop sonores. Mais l’ensemble sonne d’une vitalité naturelle et fluide, pour faire vivre cette musique de tout son raffinement rhapsodique.

samedi 12 juillet 2025

Concert de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse - Tarmo Peltoskoski - Festival Radio France à Montpellier - 10/07/2025

Parmi les concerts les plus attendus de la quarantième édition du festival Radio France Occitanie Montpellier figure incontestablement celui qui accueille le jeune chef prodige Tarmo Peltoskoski : du haut de ses 25 ans, le Finlandais formé par l’incontournable Jorma Panula n’en finit plus de surprendre, comme nous le constations en début d’année à Toulouse, lors d’une soirée de lancement de son intégrale des Symphonies de Vaughan Williams, accompagnée par rien moins que Deustche Grammophon. Il aurait d’ailleurs été préférable de continuer à promouvoir cette musique trop méconnue en France, même si Montpellier, dans le cadre du festival estival, a eu la chance d’entendre la Sea Symphony voilà trois ans.

Le programme rend hommage au chef d’orchestre Hans von Bülow, qui fut l’un des plus fervents disciples de Wagner, devenant, entre autres, le créateur de Tristan et Isolde en 1865. Lors d’une présentation au piano d’extraits de la Deuxième Symphonie par Mahler, il ne put s’empêcher une comparaison avec l’illustre modèle, ravalant Tristan au rang d’une symphonie de Haydn. Faut‑il y voir une perfidie, de la part de celui qui s’était fait voler son épouse par le même Wagner ? Quoi qu’il en soit, la volonté de faire entendre le Prélude de Tristan directement enchaîné avec le premier mouvement de la symphonie de Mahler, permet d’en juger par soi‑même. Ce mouvement est l’adaptation de Totenfeier (Cérémonie funéraire), un poème symphonique composé en 1888, six ans avant l’achèvement de la symphonie. Du fait de son tempérament volcanique, très différent par rapport à l’Andante moderato qui suit, Mahler ira jusqu’à demander une pause de cinq minutes entre les deux ! L’entrée opportune du choeur Orfeón Donostiarra permet précisément cet intermède, même si le chœur, admirable d’homogénéité et d’engagement, n’est sollicité que dans le dernier mouvement.

Quoi que l’on pense de ces détails et anecdotes, elles permettent de renouveler notre écoute d’une symphonie que l’on connaît dans les moindres recoins, tant celle‑ci est désormais solidement implantée au répertoire. D’où vient pourtant que la soirée se révèle passionnante de bout en bout ? Le premier mérite en revient évidemment à l’Orchestre du Capitole, dont on ne finit plus de s’extasier sur les qualités techniques, concert après concert. L’autre atout revient à l’affinité déjà évidente avec son jeune chef, tant la formation suit chacune de ses intentions en une confiance aveugle, persuadée d’être entre de bonnes mains. Dirigeant sans partition, Peltokoski imprime ainsi une concentration immédiate, en refusant tout vibrato et pathos. L’allégement des textures et la transparence, aux lignes horizontales, forment une atmosphère toute de recueillement, presque de renoncement par endroits.

Dans le premier mouvement, lisibilité et douceur restent les maîtres mots, au service d’une battue régulière et imperturbable. Les arêtes ne sont pas appuyées, en une optique legato toujours envoutante. De cette lecture chambriste naît une grandeur sans lyrisme aux cordes, par le seul plaisir de la finesse des transitions, ciselées avec la précision d’un orfèvre. Le refus de toute emphase, comme de tout épanchement, imprime des tempi souvent plus vifs dans les tutti, en une lecture analytique, plus intellectuelle que physique. Les détails révélés dans les alliages de timbres n’en sont que plus fascinants, notamment dans la construction admirablement étagée des crescendos.

Marianne Crebassa
On l’a dit, l’Andante moderato qui suit procure un effet de contraste par son apaisement et sa simplicité d’orchestration, principalement confiée aux cordes. Presque murmurés, les phrasés ondulent entre souplesse et modulations aériennes, tandis que Peltokoski montre une facette inhabituellement facétieuse en se tournant vers le public, pour lui signifier un passage tout de malice en pizzicato, aux flûtes et harpes. Il se montre plus encore à son aise dans le Scherzo, qui annonce Chostakovitch dans la rythmique chaloupée aux accents volontairement grotesques. L’opposition entre cordes et vents est bien déliée, tout en minorant les effets solistes, au profit d’une lecture qui joue la carte de la légèreté aérienne, d’une grâce infinie. Toujours passionnante et imprévisible, cette battue réserve quelques moments marquants, tel que ces piani superbement tenus après un tutti fracassant.

Avec Marianne Crebassa, on tient une interprète de grande classe pour donner ses lettres de noblesse à un Urlicht déchirant de simplicité, porté par un timbre suave. Accompagnée du cor anglais, la Montpelliéraine confirme qu’elle est une des cantatrices les plus intéressantes de sa génération. Le Finale, avec sa longueur démesurée d’une trentaine de minutes, n’évite pas un découpage séquentiel, sous la battue un rien trop extérieure de Peltokoski. Si on peut s’extasier à juste titre sur les qualités de mise en place ou sur le refus de toute pompe, les dernières mesures s’éloignent trop du narratif, en mettant en avant les scansions aux cuivres. L’entrée murmurée du chœur apporte un effet saisissant en contraste, bientôt électrisée d’envolées homophoniques plus vigoureuses. Une soirée globalement de très haute tenue, malgré quelques réserves sur les mouvements extérieurs.