Si l’Allemagne fait figure de paradis pour le mélomane aventureux, le
cas de la Finlande ne laisse pas de fasciner également, tant son apport
en ce domaine reste hors de proportion par rapport à sa démographie
relativement réduite, d’un peu plus de 5 millions d’habitants. En dehors
du héros national Jean Sibelius, le pays peut en effet s’enorgueillir
d’une répartition sur tout le territoire de nombreux orchestres de
qualité, tout comme de la formation de chefs d’orchestre de renommée
internationale, Esa‑Pekka Salonen en tête. Signe de cet intérêt,
l’arrivée à l’aéroport d’Helskinki permet de découvrir des extraits en
grand écran des Ostrobotniens de Madetoja, premier jalon
essentiel composé en langue finnoise en 1924 : de quoi se replonger avec
bonheur dans le souvenir de l’excellente production de l’Opéra
d’Helsinki, présentée en décembre dernier pour fêter le centenaire de la création de l’ouvrage.
Autour de ces joyaux célébrés tout au long de l’année, la Finlande
attire de nombreux mélomanes lors des festivals d’été, notamment pour le
plus célèbre d’entre eux à Savonlinna, dédié à l’art lyrique.
Moins connu dans nos contrées, le Festival de Mikkeli est situé dans la
même région au sud‑est, autour de l’immense lac Saimaa, le plus grand
du pays. Chaque été depuis 1992, le festival a d’abord été dédié à la
musique de chambre, avant d’élargir sa programmation à l’orchestre.
De 1993 à 2022, il a ainsi été placé sous la direction artistique de
Valery Gergiev, avec l’Orchestre du Théâtre Mariinsky de
Saint‑Pétersbourg. Depuis 2023, un partenariat a été noué avec le
prestigieux Orchestre Philharmonia de Londres, dirigé par le chef
finlandais Santtu‑Matias Rouvali depuis 2021.
Conformément à la tradition, l’édition 2025 célèbre un thème
d’inspiration, cette année les légendes, ce qui permet de revisiter les
mythes du Kalevala ou de Roméo et Juliette, en passant par Le Seigneur des anneaux.
On retrouve précisément l’un des personnages emblématiques de la
mythologie finlandaise en la personne de Kullervo, dont l’épopée a été
mise en musique en tout début de carrière par Sibelius, en 1892. Même
s’il s’agit là de sa toute première réussite d’ampleur, ce poème
symphonique pour chœur et solistes a rapidement été rangé dans les
tiroirs par le compositeur, manifestement insatisfait de cet opus aux
effluves postromantiques. La première représentation intégrale de
l’ouvrage a eu lieu en 1958, avant le premier enregistrement
discographique de Paavo Berglund, en 1970. Depuis, l’ouvrage fait figure
de rareté, malgré ses qualités indéniables de souffle épique, à la
grandeur tragique immédiatement accessible.
Les premiers accords détaillés dans les graves marquent son goût pour l’émergence de détails inattendus dans les piani (une constante de la soirée), sans jamais perdre d’attention l’élan global. On ne sait qu’admirer, entre l’attention à la mise en place des crescendi et decrescendi, d’une perfection formelle fascinante, de même que l’art des transitions entre les phrases, toujours délicatement ouvragées. L’ambiance plus mélancolique du mouvement suivant (« La Jeunesse de Kullervo ») permet de savourer le goût du chef pour des lignes claires et sans vibrato, soutenu par les cordes superbes du Philharmonia. Toutes les mélodies sont mises sur le même plan, sans avantager la principale, ce qui rapproche l’ouvrage d’un poème symphonique lisztien.
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Johanna Rusanen |
En première partie de soirée, une autre œuvre de jeunesse de Sibelius a permis à l’orchestre de se chauffer : le poème symphonique En saga (1892, révisé en 1901) fait découvrir un Sibelius plus intime, dont Rouvali exalte les jeux de sonorités aux cordes. La légèreté aérienne qui se dégage de cette lecture offre quelques ruptures plus sombres aux cuivres, en un aspect un rien trop séquentiel. Les tempi initialement mesurés s’accélèrent peu à peu lors de l’émergence d’un thème plus lyrique, entonné aux altos. L’attention aux nuances reste perceptible, de même que l’atmosphère globalement coloriste. Le chef finlandais n’en oublie pas cependant de faire ressortir toutes les influences à l’œuvre dans ce bijou de jeunesse : ainsi des effluves orientalistes proches de Rimski‑Korsakov audibles lors des parties spectaculaires du mouvement conclusif, avant une déconstruction progressive de la texture orchestrale, qui s’achève dans les murmures pianissimo de la clarinette, puis des trémolos quasi imperceptibles aux cordes.
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