dimanche 13 novembre 2011

« Risotto » d’Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato - MC 93 à Bobigny - 05/11/2011

Depuis 1978, Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato nous invitent à contempler la préparation d’un risotto sur la scène d’un théâtre. Ce même rituel est donné à travers toute l’Europe, en Russie ou au Brésil. À chaque fois, la cuisson immuable du même plat, dont seuls quelques ingrédients changent, donne lieu au partage d’un repas avec les spectateurs qui ont survécu à cette expérience.


C’est l’histoire d’une amitié de cinquante ans. Deux hommes se rencontrent au lycée et vivent les évènements d’avril 1968 en Italie, un mois avant ceux de Paris. Dix ans après, les espoirs déçus, Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato font le constat d’un rêve qui n’a pas su prendre forme, d’une réalité qui a repris ses droits. Amedeo, devenu scénographe, travaille pour tous les cinéastes de renom – Elio Petri, Marco Bellocchio, Ettore Scola ou Nanni Moretti. De son côté, Fabrizio embrasse la carrière universitaire en tant que spécialiste de philologie romane.

Sur le plateau, une marmite fumante posée sur une gazinière. Un bouillon est déjà en préparation. À côté, un plan de travail avec quelques ingrédients épars et une petite table ronde de restaurant. Le couvert est déjà mis. Amedeo entre, hésite quelque peu avant de s’asseoir, tandis qu’une voix off raconte des bribes du récit de l’amitié commune avec Fabrizio. On comprend rapidement que cet enregistrement n’est autre que la pensée d’Amedeo, qui se souvient pour tromper l’ennui. Il grignote en effet quelques gressins, ces petits biscuits apéritifs italiens bien connus, et joue machinalement avec quelques allumettes.

Dans le même temps, des extraits de films amateurs sont montrés en toile de fond. La voix off, qui se perd dans les détails du quotidien, dans ces petits riens de l’existence, s’appuie sur les quelques images de la vie du lycée des deux étudiants italiens ou des révoltes de 1968.

Un rituel obsessionnel et radical

Puis Fabrizio entre à son tour. Comme Amedéo, il est muet pendant toute la pièce. Comme son ami, sa pensée est traduite à travers la bande-son à deux voix alternées, pendant qu’il fait cuire un risotto, avec toute la méticulosité requise pour réussir son plat.

Le spectateur contemple ce spectacle, entre étonnement et impatience. Certains s’ennuient. La banalité factuelle du récit et la préparation du risotto désorientent. Ceux qui attendent des réponses sont rapidement déçus : c’est davantage un ressenti vers lequel les deux comédiens nous attirent. Leurs gestes répétitifs deviennent hypnotiques, tandis que le récit de la voix off, qu’elle soit Amedeo ou Fabrizio, berce l’auditeur par son accumulation de faits du quotidien, sans liens apparents entre eux et sans aucune recherche de sens.

Dès lors, le spectateur est conduit à entreprendre sa propre réflexion sur le sens de la vie, sur la répétition des gestes, des repas, des visites ou des ruptures. Chacun vit l’expérience de ces évènements, laissé à lui-même dans le minimalisme apparent de l’existence.
Par sa radicalité, le spectacle surprend constamment et nous tient curieusement en haleine avec ses comédiens muets, sa bande enregistrée omniprésente ou l’apparente banalité de ce qui nous est donné à voir et à entendre. On pense à l’incrédulité des premiers auditeurs du Boléro ou des admirateurs de l’art conceptuel d’un Marcel Duchamp. Certains resteront sur le carreau, d’autres seront fascinés. À vous de tenter l’expérience. 

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