jeudi 14 juin 2018

« Barbe-Bleue » de Jacques Offenbach - Stefan Herheim - Opéra Comique de Berlin - 10/06/2018


Si Barbe-Bleue (1866) fait partie des incontestables chefs-d’œuvre d’Offenbach du fait, notamment, de ses mélodies irrésistibles et de son génie satirique, notre pays semble l’avoir quelque peu oublié. En dehors de la production de Waut Koeken montée à Nancy et à Angers-Nantes voilà quatre ans, il faudra ainsi attendre la saison prochaine pour apprécier le travail (toujours inspiré dans ce répertoire) de Laurent Pelly à Lyon. En attendant, depuis mars, les plus curieux ont pu se précipiter à Berlin pour entendre la version allemande revisitée par Stefan Herheim et son équipe. Il faut dire que ce choix est facilité par l’opportun apport des sous-titres individuels à choisir sur chaque siège du Komische Oper, et ce parmi quatre langues dont le français. Comme à son habitude, le metteur en scène norvégien conçoit un spectacle d’une rare intelligence, en s’attachant à améliorer le livret de Meilhac et Halévy pour lui donner plus de cohérence dramatique, tout en cherchant à se rapprocher au plus près de ses intentions comiques.


La version «classique» donnée pendant des décennies au Komische Oper dans la production de Walter Felsenstein faisait en effet l’impasse sur les nombreux sous-entendus grivois du texte français. Dans cet esprit, Herheim se permet aussi des ajouts en résonance avec l’actualité, tel le débat sur la reconstruction du château de Berlin: un projet vivement contesté ici, tant par son coût que par le choix d’y installer un musée consacré aux civilisations non européennes. Avec l’assemblage de dés géants et multifaces, la mise en scène laisse entrevoir tous les projets possibles (notamment l’ancien Parlement de la RDA), puis se contente de railler l’idée de construire un château... en l’absence d’un roi. L’ajout le plus pertinent est sans conteste celui de deux figures tutélaires, l’Amour et la Mort, qui rivalisent de bons mots pour se convaincre l’une l’autre, sans oublier de philosopher à l’occasion. Leur joute malicieuse prend toujours une place raisonnable par rapport à l’action et l’on se surprend même à s’attacher d’une part à la nostalgie et à la noblesse d’âme de la Mort et d’autre part, aux facéties précieuses de l’Amour. Herheim donne à un nain zozotant le plaisir d’incarner ce dernier rôle: Manni Laudenbach lui donne tour à tour une énergie frivole dans l’affirmation de ses principes et une simplicité touchante dans la fragilité. Face à lui, c’est plus encore l’éloquent Wolfgang Häntsch qui impressionne dans son rôle de Monsieur Loyal triste et sincère.


A cette double face de Janus répond un plateau vocal de haut niveau mené par Wolfgang Ablinger-Sperrhacke dans le rôle-titre – tout simplement irrésistible de bonne humeur volubile et d’arrogance futile. Mais c’est plus encore le Popolani désopilant de Tom Erik Lie, auquel ses maladresses et hésitations donnent des faux airs du magicien Garcimore, qui convainc pleinement. A ses côtés, Peter Renz (Roi Bobèche) n’est pas en reste dans le comique théâtral, tandis que Philipp Meierhöfer (Comte Oscar) assure correctement sa partie. Le couple de tourtereaux écervelés, composé de Vera-Lotte Böcker (Fleurette) et Johannes Dunz (Prince Saphir), rivalise admirablement entre innocence et ingénuité, tandis que Stefanie Schaefer fait valoir de belles qualités interprétatives pour son rôle de Boulotte – le plus exigeant vocalement. Son timbre corsé, admirablement projeté, lui vaut une belle ovation en fin de représentation, tout comme le chef Stefan Soltész, très inspiré. Il saisit bien toute la grâce légère d’Offenbach, sans jamais appesantir le tempo ou couvrir ses chanteurs. Il n’est pas pour rien dans la réussite de ce spectacle que l’on pourra à nouveau retrouver jusqu’à la fin de l’année à Berlin et que l’on recommande chaudement.

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