L’Opéra des Flandres ouvre sa saison 2018-2019 sur un spectacle superbe coproduit avec
l’Opéra de Londres – et déjà applaudi dans la capitale britannique en
juin dernier. Monter Lohengrin dans les Flandres peut paraître logique
au regard de son action prenant place dans les nimbes moyen-âgeuses du
Xe siècle à Anvers : pour autant, les locaux n’oublieront pas les
sous-entendus pan germaniques du livret, révélateurs des convictions
politiques de Wagner à l’orée des soulèvements de 1848. C’est
précisément l’une des pistes de lecture empruntée par l’Américain David
Alden (à ne pas confondre avec son frère jumeau Christopher, également
metteur en scène, dont les Dijonnais ont pu apprécier le travail dans sa
production du Turc en Italie de Rossini en 2017 – deux ans après la
Norma entendue à Bordeaux) qui transpose l’action dans une société en
proie aux séductions du totalitarisme naissant : la noirceur de la
scénographie, les éléments militaristes, tout autant que les costumes
années 1940 ou les drapeaux nazis habilement revisités sous la bannière
du cygne, sont autant de signes de l’avènement du sauveur autoproclamé
Lohengrin.
Rien de nouveau dans cette transposition
déjà vue ailleurs, mais l’ensemble se tient autour d’une scénographie
envoûtante aux allures cubistes : les immeubles inachevés en forme de
ruines fantomatiques et inquiétantes sont sans cesse revisitées par les
éclairages et les mouvements de décors. Pour autant, David Alden ne s’en
tient pas à ce seul contexte visuel guerrier et cherche à donner
davantage de profondeur psychologique aux personnages. Ainsi du Roi dont
l’inconsistance de caractère est soulignée par sa couronne d’opérette,
ses errances sur scène et son regard halluciné. C’est plus encore le
personnage d’Ortrud qui intéresse David Alden : sa
vengeance ne trouve pas seulement pour cause la défense d’un statut de
classe, mais également l’expression de la jalousie face au désir exprimé
par son mari pour Elsa. Cette hypothèse audacieuse est suggérée par
l’un de nombreux sous-textes ajoutés par la remarquable direction
d’acteur de cette production, visible à l’issue de la scène de pardon
entre Ortrud et Elsa au II, lorsque Teralmund tend sa main vers le corps
d’Elsa, sous le regard horrifié d’Ortrud. Une autre piste défendue par
cette mise en scène passionnante consiste à entrevoir les deux
personnages féminins comme une seule personne aux pulsions
contradictoires : à la féminité sexuelle triomphante d’Ortrud au II
répond la virginité préservée d’Elsa au III. La question fatale posée à
Lohengrin n’intervient-elle pas alors que les deux époux s’apprêtent à
consommer leur mariage, donnant ainsi à Elsa la possibilité d’échapper à
ce désir sans cesse repoussé ? On notera aussi une attention soutenue
aux moindres inflexions musicales de Wagner à travers les gestes des
personnages : par exemple, les différentes reprises du thème de
Lohengrin aux cuivres provoquent chez Teralmund une terreur évocatrice
tout à fait pertinente.
Le plateau vocal réuni est de très bonne tenue, hormis la présence assez inexplicable pour le rôle-titre du très perfectible Zoran Todorovich,
un habitué de la maison flamande (on le retrouvera ici même au
printemps prochain dans La Juive). Privé de couleurs, l’Allemand
d’origine Serbe peine dès lors que les difficultés techniques lui
imposent de forcer sa voix, peinant aussi à chanter en phase avec
l’orchestre. Fort heureusement, sa présence est plus réduite au I et II
et seul le III souffre de sa présence. A ses côtés, Liene Kinča
compose une Elsa toute de fragilité et de sensibilité, autour de
phrasés harmonieux, et ce malgré quelques changements de registre
audibles au I. Sa petite voix et son émission étroite ne doivent pas
faire sous-estimer cette chanteuse à la hauteur de son rôle et
parfaitement en phase avec les choix de la mise en scène. L’Ortrud d’Irène Theorin
est son exact opposé au niveau stylistique : sa puissance et sa
vibrante incarnation font de chacune de ses interventions un régal.
L’ancienne soprano se délecte des passages en pleine voix, manifestant
davantage de prudence dans les ariosos soutenus par un léger vibrato.
Son duo avec le Telramund de Craig Colclough est un
grand moment d’intensité, auquel n’est pas étranger le baryton
américain, très investi dans son rôle. On soulignera aussi la belle
incarnation du Roi Henri par Wilhelm Schwinghammer, remplaçant de
dernière minute suite à la défection de Thorsten Grümbel, mais c’est
plus encore le Héraut de Vincenzo Neri qui se distingue à force d’éclat
et d’autorité naturelle.
On mentionnera enfin les très beaux débuts d’Alejo Pérez,
nouveau directeur musical de l’Opéra des Flandres, qui surprend à de
nombreuses reprises par ses accélérations nerveuses et frémissantes ou
son attention aux détails en contraste. Les magnifiques premières
mesures pianissimo du Prélude donne le ton au moyen de l’allégement des
corde, offrant une impression de fondu, éthéré et irréel, au moment de
l’entrée des vents et cuivres. Un chef argentin sur lequel il faudra
désormais compter, tout autant que le superlatif Choeur de l’Opéra des
Flandres aux qualités bien connues.
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