En cette année de célébration du deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven, le Trio Sōra a eu la bonne idée de se pencher sur la musique de chambre du «Grand Mogol», surnom donné par Haydn à son élève turbulent entre 1792 et 1794. Fondé en 2015 par des diplômées du Conservatoire national de Paris, le Trio Sōra a choisi pour son premier disque de graver l’intégrale des trios pour piano avec numéro d’opus, ce qui exclut le Trio de jeunesse de 1791 (probablement composé pour obtenir les leçons auprès de Haydn), tout comme le Trio pour piano, clarinette et violoncelle, opus 11 (1798), dont la partie de clarinette peut être remplacée par le violon. Les trois disques de ce coffret nous donnent ainsi à voir toute l’étendue de l’évolution stylistique de Beethoven entre les tout premiers trios, publié en 1795 alors qu’il est encore élève de Salieri et Albrechtsberger, et le dernier dédié à l’Archiduc en 1811 – à juste titre le plus connu du corpus.
Le Premier Trio nous emporte d’emblée dans la fougue
communicative des interprètes, qui se saisissent de l’élan haydnien en
un mélange de légèreté et de toucher sans vibrato, avec des tempi vifs
(dans les mouvements extérieurs). On sent déjà le versant péremptoire
d’un compositeur alors plus connu comme virtuose du piano, tandis que le
mouvement lent laisse entrevoir une atmosphère plus recueillie, avec un
jeu sur les nuances et de belles couleurs. Félins et malicieux, les
phrasés du Trio Sōra sont un régal d’intelligence narrative sans
ostentation, tandis que le Scherzo qui suit apporte davantage de
fraîcheur, et ce malgré les accords plaqués volontairement abrupts. La
variété des accents surprend dans le dernier mouvement à la mélodie
entêtante, qui rappelle là encore Haydn dans l’expression rythmique
étourdissante: volontiers brutale dans les tutti, l’exacerbation des
passions virevolte avec bonheur entre les instruments, révélant le
tempérament déjà bien affirmé de Beethoven.
Le style tout en contrastes des Sōra fonctionne moins bien dans le Deuxième Trio,
à l’écriture plus déliée, même si on se délecte des couleurs grinçantes
aux cordes. On retrouve l’énergie et les ruptures sèches bienvenues
dans l’éclatant Troisième Trio, à la mélodie immédiatement prenante: plus tragique, le mouvement initial est contrasté avec un Andante
que les interprètes abordent avec un esprit d’apaisement aux allures
nonchalantes, comme s’il était improvisé. Les deux trios suivants de l’Opus 70, composés dans la foulée de la Sixième Symphonie
en 1808, montrent un Beethoven tout aussi sanguin, mais sans doute
moins inspiré par une virtuosité qui tourne parfois à vide. Le Trio Sōra
poursuit sa lecture dynamique en un élan qui sait se régaler des
atmosphères plus méditatives entre les tutti, évoquant ainsi les
délicatesses de Schubert.
C’est toutefois le sommet du cycle, le dernier et Septième Trio (1811), qui surprend par son début abordé avec une sérénité et une sensibilité à fleur de peau, apportant un éclairage de douceur inattendu: le piano volontairement en retrait laisse la part belle à ses comparses, en un esprit chambriste bien éloigné des cathédrales romantiques souvent à l’œuvre ici. La légèreté domine, tout particulièrement dans un Andante aux phrasés à la limite du murmure, comme un quasi-renoncement. Le Presto conclusif poursuit sur ces variétés en clair-obscur, avec des nuances qui mettent en valeur les couleurs des instruments, et des tutti plus secs en contraste. Cette lecture vivifiante et toujours très personnelle, à l’image des enregistrements réunis sur ce coffret, est vivement recommandable.
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