mardi 23 mars 2021

« Faust » de Charles Gounod - Tobias Kratzer - Opéra Bastille à Paris - 22/03/2021

Qu’elle fait du bien, cette explosion de joie de l’ensemble des artistes réunis pour la deuxième et dernière représentation de Faust, une fois le rideau tombé ! Quelques minutes plus tôt, la chaleur des applaudissements offerte par le choeur à son chef José Luis Basso avait donné le ton, celui du plaisir retrouvé de partager une même passion commune. On pense évidemment aux autres artistes, partout en France, qui n’ont pas la chance de pouvoir bénéficier de spectacles maintenus du fait d’une captation : dans ce contexte, le travail conjoint de France Musique et France 5 (qui permettra de faire découvrir plus largement cette production dans les tous prochains jours) est plus que jamais nécessaire pour ne pas maintenir les artistes dans l’anonymat désespérant des répétitions ou des représentations données devant une salle vide.

Depuis le début de la pandémie, l’Opéra national de Paris n’a en effet jamais arrêté de répéter ses spectacles, se tenant prêt au cas où soient levées les restrictions imposées aux acteurs du monde culturel. Il faudra encore attendre un peu pour de meilleures nouvelles, mais ne boudons pas notre plaisir de voir le spectacle vivant enregistré dans de telles conditions : pour la représentation filmée, pas moins de trois caméras placées dans l’orchestre permettent de varier les angles de vue, tandis qu’une immense grue amovible s’approche des chanteurs dans les scènes plus intimistes – à l’instar des petits diablotins de Méphisto, caméra à l’épaule, à plusieurs moments. On n’oubliera pas également la petite caméra robotisée qui court le long de la rampe derrière le chef d’orchestre, donnant à voir le visage des instrumentistes en plans rapprochés, là aussi.

Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, le metteur en scène allemand Tobias Kratzer (né en 1980) se joue précisément de tous ces moyens techniques afin d’offrir un spectacle total : les effets vidéo omniprésents, tout autant que la superposition spatiale des points de vue (dans le HLM de Marguerite, aux étages dévoilés peu à peu), apportent de nombreuses surprises visuelles tout au long de la soirée. Toutefois, certaines scènes prêtent à sourire par leur réalisation maladroite, que ce soient le survol de Paris dans les airs ou la course à chevaux des deux protagonistes masculins principaux, tandis que la direction d’acteur se montre un peu lâche : gageons que ces imperfections seront gommées par la réalisation vidéo, grâce aux gros plans sur les visages, notamment.

Chantre du Regietheater acclamé Outre-Rhin, Tobias Kratzer a fait ses débuts à Bayreuth voilà trois ans (avec Tannhäuser dirigé par Valery Gergiev), peu après ses premiers pas en France, à Lyon, avec Guillaume Tell. On retrouve le goût du metteur en scène pour une transposition radicale contemporaine, faisant fi des aspects comiques ou guerriers, présents dans cet ouvrage composite, pour se concentrer sur le double destin tragique de Faust et Marguerite. De même, les aspects religieux sont minorés au profit d’une interprétation plus actuelle, en lien avec les tourments psychologiques des deux héros, dont Méphisto ne représenterait que la mauvaise conscience. La scénographie en forme de miroir, nous plonge habilement dans l’horizon étriqué de Marguerite, avec Dame Marthe pour voisine de promiscuité. Kratzer concentre ainsi notre attention sur le fossé social qui sépare le docteur Faust et son appartement classieux à Marguerite et son environnement HLM peu ragoutant.

Déjà, en 2015 à Karlsruhe, Kratzer avait fait écho aux banlieues françaises récemment embrasées, à l’occasion d’une production du Prophète de Meyerbeer : son attention se porte cette fois sur les légendes urbaines et la violence sociale qui précipitent le destin de Marguerite, fille-mère infanticide. La scène où Méphisto la terrorise dans une rame de métro est certainement la plus intense de la soirée, tant l’effet d’oppression rappelle les plus grandes scènes du genre (notamment celles imaginées par Brian de Palma dans ses films Pulsions ou Blow out). Dans cette optique réaliste, le pardon divin final ne peut servir de pirouette heureuse, Marguerite s’effondrant en larmes devant le désastre d’une vie ratée. On notera enfin plusieurs bonnes idées, comme l’enrichissement du rôle du dévoué Siébel ou l’apparition alternative du Faust âgé à plusieurs moments clés du récit.


Face à cette mise en scène cohérente dans ses partis-pris, la direction musicale de Lorenzo Viotti (né en 1990) étire les tempi dans les passages lents, en sculptant les phrasés avec une attention inouïe aux détails – le contraste n’en est que plus grand dans les parties enlevées au rythme endiablé, mais jamais appuyé, le tout sans vibrato. Le jeune chef suisse en oublie parfois le plateau, n’évitant pas quelques décalages (avec les choeurs notamment) : un enthousiasme doublé d’une vision qui font assurément de ce chef l’un des plus prometteurs de sa génération. L’Opéra d’Amsterdam ne s’y est d’ailleurs pas trompé en le nommant chef principal à partir de la saison 2021/2022, tandis que l’Opéra national de Paris l’avait déjà accueilli en 2019 dans Carmen.

Sur le plateau, Benjamin Bernheim épouse admirablement cette lecture par sa ligne de chant souple et naturelle, d’une sureté de diction éloquente dans l’art des transitions, même si on l’aimerait plus dramatique par endroit. Moins éclatant dans la projection vocale, Christian Van Horn fait valoir des accents cuivrés en lien avec la morgue de son personnage. S’il sait se faire séduisant, ce Méphisto manque toutefois de noirceur, faute de graves moins opulents qu’attendus. On pourra faire le même reproche au Valentin de Florian Sempey qui emporte toutefois l’adhésion par son style et sa technique parfaites, tandis qu’Ermonela Jaho déçoit dans les passages de demi-caractère, où son médium peine à franchir l’orchestre. La soprano albanaise se rattrape dans les parties plus enlevées, mais il n’en reste pas moins que le rôle ne lui convient guère. Déception, aussi, pour le Siebel, maladroitement incarné par une Michèle Losier en difficulté dans les accélérations, avec une élocution incompréhensible. Quel plaisir, en revanche de retrouver la toujours exemplaire Sylvie Brunet-Grupposo, capable de convaincre y compris dans le rôle aussi court de Dame Marthe.

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