Depuis le début de la pandémie, l’Opéra national de Paris n’a en effet jamais arrêté de répéter ses spectacles, se tenant prêt au cas où soient levées les restrictions imposées aux acteurs du monde culturel. Il faudra encore attendre un peu pour de meilleures nouvelles, mais ne boudons pas notre plaisir de voir le spectacle vivant enregistré dans de telles conditions : pour la représentation filmée, pas moins de trois caméras placées dans l’orchestre permettent de varier les angles de vue, tandis qu’une immense grue amovible s’approche des chanteurs dans les scènes plus intimistes – à l’instar des petits diablotins de Méphisto, caméra à l’épaule, à plusieurs moments. On n’oubliera pas également la petite caméra robotisée qui court le long de la rampe derrière le chef d’orchestre, donnant à voir le visage des instrumentistes en plans rapprochés, là aussi.
Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, le metteur en scène allemand Tobias Kratzer (né en 1980) se joue précisément de tous ces moyens techniques afin d’offrir un spectacle total : les effets vidéo omniprésents, tout autant que la superposition spatiale des points de vue (dans le HLM de Marguerite, aux étages dévoilés peu à peu), apportent de nombreuses surprises visuelles tout au long de la soirée. Toutefois, certaines scènes prêtent à sourire par leur réalisation maladroite, que ce soient le survol de Paris dans les airs ou la course à chevaux des deux protagonistes masculins principaux, tandis que la direction d’acteur se montre un peu lâche : gageons que ces imperfections seront gommées par la réalisation vidéo, grâce aux gros plans sur les visages, notamment.
Déjà, en 2015 à Karlsruhe, Kratzer avait fait écho aux banlieues françaises récemment embrasées, à l’occasion d’une production du Prophète de Meyerbeer : son attention se porte cette fois sur les légendes urbaines et la violence sociale qui précipitent le destin de Marguerite, fille-mère infanticide. La scène où Méphisto la terrorise dans une rame de métro est certainement la plus intense de la soirée, tant l’effet d’oppression rappelle les plus grandes scènes du genre (notamment celles imaginées par Brian de Palma dans ses films Pulsions ou Blow out). Dans cette optique réaliste, le pardon divin final ne peut servir de pirouette heureuse, Marguerite s’effondrant en larmes devant le désastre d’une vie ratée. On notera enfin plusieurs bonnes idées, comme l’enrichissement du rôle du dévoué Siébel ou l’apparition alternative du Faust âgé à plusieurs moments clés du récit.
Sur le plateau, Benjamin Bernheim épouse admirablement 
cette lecture par sa ligne de chant souple et naturelle, d’une sureté de
 diction éloquente dans l’art des transitions, même si on l’aimerait 
plus dramatique par endroit. Moins éclatant dans la projection vocale, Christian Van Horn
 fait valoir des accents cuivrés en lien avec la morgue de son 
personnage. S’il sait se faire séduisant, ce Méphisto manque toutefois 
de noirceur, faute de graves moins opulents qu’attendus. On pourra faire
 le même reproche au Valentin de Florian Sempey qui emporte toutefois l’adhésion par son style et sa technique parfaites, tandis qu’Ermonela Jaho
 déçoit dans les passages de demi-caractère, où son médium peine à 
franchir l’orchestre. La soprano albanaise se rattrape dans les parties 
plus enlevées, mais il n’en reste pas moins que le rôle ne lui convient 
guère. Déception, aussi, pour le Siebel, maladroitement incarné par une Michèle Losier
 en difficulté dans les accélérations, avec une élocution 
incompréhensible. Quel plaisir, en revanche de retrouver la toujours 
exemplaire Sylvie Brunet-Grupposo, capable de convaincre y compris dans le rôle aussi court de Dame Marthe. 



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