Comme chaque année, le Conservatoire national supérieur de musique et de
 danse de Paris donne à ses élèves en fin de cycle l’occasion de se 
confronter sur scène lors d’une production lyrique d’un ouvrage majeur 
du répertoire. Après Le Monde de la lune de Haydn en 2019, place cette fois au chef-d’œuvre de la maturité de Britten, Le Tour d’écrou
 (1954). L’opéra de chambre du maître anglais se montre on ne plus 
adapté en ces temps de pandémie, puisqu’il ne requiert que treize 
solistes dans la fosse, donnant la part belle aux vents, en une 
instrumentation étourdissante d’inventivité. L’adaptation très fidèle de
 la nouvelle éponyme de Henry James tire parti des non-dits et des 
ambiguïtés entre le monde de l’enfance et des adultes, à même d’inspirer
 un compositeur au sommet de son art. Les ambiances fantastiques et 
fantomatiques de James résonneront à nouveau en 1972, à l’occasion de 
l’avant-dernier opéra de Britten, Owen Wingrave, un bijou noir plus sombre encore que Le Tour d’écrou (voir la réunion de ces deux ouvrages lors d’une production toulousaine en 2014).
On pourra regretter que la direction franche et virile d’Alexander 
Briger, à la tête d’un excellent Orchestre du Conservatoire de Paris, 
oublie par trop les subtilités des enchevêtrements de timbres des 
passages morbides, privilégiant l’éclat du récit dramatique. On note 
ainsi une propension à faire sonner un peu fort sa formation dans les 
tutti, s’adaptant peu à une salle très sonore avec le public réduit. 
Gageons que la captation audiovisuelle saura gommer ces imperfections.
Sur le plateau, certains interprètes se laissent aussi aller au piège de cette acoustique, tout particulièrement le narrateur de Thomas Ricart, impressionnant de puissance, mais qui manque de souplesse dans les changements de registre. De même, Léo Vermot Desroches en fait un peu trop dans la démonstration vocale, oubliant la dimension séductrice de Peter Quint pour ne retenir que sa face inquiétante. Dans le rôle principal, Clarisse Dalles (La Gouvernante) multiplie quant à elle les stridences disgracieuses dans le suraigu, souvent arrachés dans les accélérations. L’étendue de sa tessiture est manifestement en cause, tant le reste de sa prestation donne à entendre une chanteuse sûre de ses moyens, par ailleurs dotée d’un beau tempérament dramatique.
On lui préfère la Mrs Grose de Lucie Peyramaure, qui lui vole la vedette
 par sa maîtrise technique superlative et l’élégance de ses phrasés, au 
service d’un timbre superbe de noirceur. On aime aussi, pour les mêmes 
raisons, la Miss Jessel de Parveen Savart, à qu’il ne manque qu’un rien 
de folie pour nous embarquer plus encore dans son rôle trouble, tandis 
que les enfants (élèves du Conservatoire à rayonnement régional de 
Paris) brillent tous deux au niveau vocal, même si on note un 
déséquilibre entre un Miles plus timide sur scène face à une Flora plus 
affirmée.
On mentionnera enfin la mise en scène sobre et élégante de Brigitte Jaques-Wajeman, dont c’est là l’une des rares incursions dans le domaine lyrique (voir notamment son Ernani donné à l’Opéra de Toulouse en 2017). Le décor unique pendant toute la représentation est constitué d’une fenêtre accessible aux seuls fantômes, comme un symbole du monde extérieur que les enfants ne peuvent atteindre. La scène du cimetière est la plus réussie, lorsque les fantômes émergent de la fosse d’orchestre comme deux damnés, avant de se prélasser lascivement sur les tombes. Autant la variété du travail sur les éclairages que les changements à vue des accessoires renouvellent habilement le plateau tout au long de la soirée, en une scrupuleuse fidélité au récit. D’où vient pourtant l’impression d’une mise en scène passe-partout et interchangeable? Peut-être l’absence de risque et de parti pris (hormis une allusion aux assauts nocturnes de Quint dans le lit de Miles) pour cette production de bonne tenue, mais trop prévisible.


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