Montée à Genève en 2017, La Pucelle d’Orléans
(1881) reste une rareté sur scène, du fait d’une musique à
l’inspiration inégale et à l’orchestration trop opulente (surtout dans
les parties guerrières ou pour le soutien au chœur). Malgré ces défauts,
audibles dès la tonitruante ouverture, ce grand opéra à la française
séduit par l’incontestable proximité avec son héroïne, à laquelle
Tchaïkovski réserve un rôle aussi omniprésent qu’ardent. Le livret peut
pourtant prêter à sourire, en imaginant une relation amoureuse entre
Jeanne d’Arc et l’Anglais Lionel, ce qui lui vaut sa chute funeste sur
le bûcher. Ce crime « contre nature », si l’on peut dire, dut inspirer
Tchaïkovski, mais s’éloigne évidemment des péripéties bien connues.
Outre cette liberté, le livret peine à brosser un portrait humain de
chacun de ses trop nombreux rôles, tout en ayant la maladresse de faire
apparaitre Lionel trop tardivement.
A Düsseldorf, la transposition contemporaine d’Elisabeth Stöppler
s’attache à donner davantage de consistance à ses personnages, en
donnant par exemple à voir Agnès comme une parvenue bling‑bling,
en un mélange de « femme trophée » et de manipulatrice. Cette emprise
manifeste accentue la faiblesse de Charles VII, également cerné par les
autres intrigants, Dunois et l’archevêque en tête. Même si la production
abuse quelque peu des armes à feu pour donner davantage de tension aux
scènes statiques, l’attention à la direction d’acteur respecte toujours
la continuité dramatique de l’ouvrage. La dernière partie est peut‑être
plus aboutie encore, lorsque l’église (décor unique pendant toute la
représentation) accueille l’état de siège, apportant une proximité avec
la foule plus inquiétante encore. La scène finale du bûcher constitue
une réussite d’une simplicité étonnante par son usage des mouvements du
chœur et des éclairages, à l’image du travail toujours probe de
Stöppler.
La distribution, d’un bon niveau global, trouve en Maria Kataeva une
Jeanne d’Arc d’exception, vivement applaudie à l’issue de la
représentation. Excellente actrice, la mezzo russe brûle les planches de
son intensité toujours à propos, délivrant une interprétation vocale de
grande classe à force de facilité et de naturel dans l’émission. On
aime aussi le Thibaut aux graves pénétrants de Sami Luttinen, de même
que le Charles VII retors de Sergej Khomov. A leurs côtés, malgré une
noirceur bienvenue, Evez Abdulla manque quelque peu de volume en Dunois,
tandis que Richard Sveda (Lionel) assure sa partie par un mordant
immédiat, à même de crédibiliser le charme opéré sur l’héroïne. Parmi
les petits rôles, on note la prestation superlative d’Aleksandr
Nesterenko (Raymond), au timbre superbe.
Autour de ce plateau vocal convaincant, le chœur local montre un bel
engagement, même si le chef Péter Halász ne lui facilite pas toujours la
tache par son geste enflammé, beaucoup trop sonore dans les parties
verticales. Outre cette réserve, ce spectacle globalement réussi souffre
également de l’absence de surtitres en anglais, ce qui ne facilite pas
la compréhension des péripéties pour le non‑germanophone. Parmi les
grandes maisons allemandes, il serait grand temps que le Deutsche Oper am Rhein
adopte cette disposition, désormais usuelle un peu partout. Doit‑on
rappeler que l’Opéra de Liège parvient, quant à lui, à proposer à ses
auditeurs pas moins de quatre langues (français, flamand, allemand et
anglais) sur ses écrans ?
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