jeudi 3 octobre 2024

« Il piccolo Marat » de Pietro Mascagni - Sarah Schinasi - Angers Nantes Opéra - Théâtre Graslin à Nantes - 02/10/2024

En ces temps de coupes budgétaires qui n’épargnent aucunes de nos maisons d’opéra, on se félicite que plusieurs d’entre elles osent sortir des sentiers battus pour proposer des raretés aussi inattendues que La Sérénade (1818) de Sophie Gail (en ce moment à Rennes) ou Edgar (1889) de Puccini (en novembre prochain à Nice). Au Théâtre Graslin, le public a récompensé cette audace en venant en nombre fêter l’avant‑dernier opéra méconnu de Pietro Mascagni, Le Petit Marat (1921), dont l’action se passe à Nantes pendant la période révolutionnaire. Il est vivement recommandé de lire au préalable le résumé de l’intrigue ou d’assister à la présentation de l’historien Jean‑Clément Martin, peu avant le spectacle, pour bien situer les enjeux de cet ouvrage, au livret passablement confus dans ses nombreux sous‑textes.

Le choix du sujet s’inscrit dans le contexte de la crainte des conséquences de la révolution bolchevique russe de 1917, qui a polarisé l’attention en France, comme en Italie, jusqu’à provoquer des scissions irréconciliables et acter la fondation de deux partis distincts (socialiste et communiste). La peur de l’effet domino du « péril rouge » incite à rappeler les méfaits de la Révolution française, et tout particulièrement ceux de la période sanglante de la terreur. C’est précisément un de ses épisodes les plus douloureux, celui des « noyés de Nantes », qui est évoqué ici : il s’agissait alors, pour les révolutionnaires, de vider les prisons pour ne plus avoir à nourrir des opposants politiques (devenus coûteux en temps de crise), mais surtout de marquer les esprits par des massacres de masse à valeur d’exemple, censés briser les velléités de révolte régionale (de Nantes jusqu’à la Vendée).

S’il ne faut pas attendre du livret une exactitude historique absolue, celui‑ci sait toutefois rendre compte du climat d’incertitude et d’urgence propre à cette période, où tiennent lieu de loi les mesures expéditives des tenants du pouvoir. Ce pouvoir fait précisément l’objet d’une lutte acharnée entre les envoyés parisiens (ici incarné par « l’Orco », une sorte de cousin éloigné de Scarpia) et les milices locales telles que la compagnie Marat (nom donné en hommage au célèbre pamphlétaire appelant à protéger les acquis de la Révolution par tous moyens, y compris la violence). L’un de ses membres, surnommé « le petit Marat », va chercher à faire libérer sa mère des geôles nantaises, avec l’aide de Mariella (nièce de l’Orco), une admiratrice de la Vierge et de... Marat (le vrai).


Malgré ce livret difficile à appréhender, la musique de Pietro Mascagni (1863‑1945) impressionne d’emblée par la variété de son inspiration, qui ambitionne de rivaliser avec le génie puccinien, auquel le compositeur est indissociablement comparé. Mascagni cherche aussi à se défaire de l’étiquette de vériste, qui lui colle à la peau depuis l’immense succès rencontré par Cavalleria rusticana (1890) – un ouvrage souvent couplé de nos jours avec Paillasse de Leoncavallo. Si plusieurs passages mélodramatiques rappellent cette première manière, on est surtout impressionné par la présence soutenue et haute en couleurs de l’orchestre, qui fait figure de personnage à part entière, tout au long de la soirée. A plusieurs reprises, Mascagni ose des audaces harmoniques et colore le drame d’une palette sombre et morbide, à l’orchestration dépouillée par endroits. On regrette toutefois que la direction solide et honnête de Mario Menicagli manque par trop d’imagination pour mettre davantage en relief les variations mouvantes de ces atmosphères, qui font pourtant tout le prix de l’ouvrage. L’audition n’est pas non plus aidée par le placement de l’orchestre sur scène, occasionnant une sonorité compacte et passablement étouffée, tandis que les chanteurs répartis au‑dessus de la fosse recouverte ont, à l’inverse, une expression autrement plus sonore.

Si Angers Nantes Opéra a dû renoncer à présenter la mise en scène de Sarah Schinasi, créée à Livourne en 2021, faute d’une fosse suffisamment étoffée pour accueillir tous les musiciens, il a finalement été demandé à l’Italienne d’élaborer une mise en espace sur la base de son travail initial. On aurait bien évidemment aimé pouvoir bénéficier du confort visuel des costumes pour identifier chaque camp en présence, ce que les accessoires et éclairages variés tentent de pallier en partie, de même qu’une direction d’acteurs vigoureuse. Sur le plan interprétatif, la distribution se montre de bonne tenue, compte de la difficulté vocale des nombreux rôles en présence, y compris parmi les comprimari (rôles de soutien). Malgré plusieurs détimbrages dans le suraigu, Rachele Barchi (Mariella) relève crânement la difficulté, en mettant en avant des qualités dramatiques éloquentes, à l’instar d’un Samuele Simoncini (Le petit Marat), aux atouts comparables, malgré une émission trop étroite.

On est toutefois davantage enthousiasmé par la noirceur brute de décoffrage d’Andrea Silvestrelli (L’Orco), qui colle parfaitement au rôle. Que dire, aussi, de sa projection mordante, qui renforce l’impact physique de sa prestation, de même que le sonore Stravos Mantis (Le Charpentier). On aime aussi le chant incarné, sans pathos excessif, de Sylvia Kevorkian (La Mère), tandis que Matteo Lorenzo Pietrapiana (Le Soldat) compense une posture un rien trop raide par une solidité technique bienvenue. Enfin, le Chœur d’Angers Nantes Opéra emporte l’adhésion, tout particulièrement grâce aux excellentes individualités appelées à se distinguer dans des petits rôles.

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