Parmi les spectacles phares de la saison versaillaise, Cendrillon
(1817) de Rossini fait un retour attendu dans sa version française
de 1868 : à l’Opéra royal, voilà un nouveau trésor du répertoire lyrique
mis à l’honneur dans la langue de Molière, après deux productions
mozartiennes consacrées à La Flûte enchantée en 2020 (disponible en disque et en streaming), puis à L’Enlèvement du sérail l’an passé (à retrouver en disque et DVD).
Directeur de Château de Versailles Spectacles depuis 2007, Laurent
Brunner n’hésite pas à casser ce tabou bien français consistant à
préférer systématiquement les versions originales, alors que les
traductions étaient encore en vogue jusque dans les années 1970 dans
tout l’Hexagone, ce qui permettait à un large public, notamment aux
« primo‑accédants », de profiter de toutes les subtilités du livret.
S’il est vrai que le confort du surtitrage a permis aux versions
originales de s’imposer durablement, il faut reconnaître que les
allers‑retours entre les écrans et la scène ne favorisent pas une
concentration optimale sur les péripéties, surtout pour les spectateurs
moins habitués à cette gymnastique. On notera par ailleurs que les pays
germaniques n’ont jamais renoncé aux traductions pour les ouvrages
comiques, comme on a pu le constater maintes fois, y compris pour des
maisons d’opéra de premier plan, à Francfort (voir notamment Mascarade en 2021 et Les Brigands en 2021) ou à Berlin (voir La Belle Hélène en début d’année). Dans le même esprit, l’Opéra Comique à Paris proposera en avril prochain une version française très attendue de Lucie de Lammermoor de Donizetti, avec Sabine Devieilhe dans le rôle‑titre.
A Versailles, la distribution entièrement francophone joue aussi la
carte du prestige avec rien moins que Gaëlle Arquez en Cendrillon : on
ne présente plus la carrière internationale de la mezzo‑soprano
originaire de Saintes, qui s’illustre ici par ses qualités de souplesse
dans les phrasés, entre beauté suave des graves et mise en valeur d’une
variété de couleurs. Seules les accélérations périlleuses de Rossini la
mettent quelque peu en difficulté dans la nécessaire diction, à l’instar
de la plupart de ses partenaires, à l’exception notable de l’admirable
Jean‑Gabriel Saint‑Martin. Entre qualités dramatiques et projection
insolente, le baryton rivalise d’énergie et de roublardise pour imposer
un valet désopilant, qui vole la vedette à son prince, interprété par le
pourtant expérimenté Patrick Kabongo. Invité régulier du festival
Rossini de Bad Wildbad (voir récemment encore pour Le Comte Ory), le ténor français originaire du Congo
impressionne une nouvelle fois par sa classe interprétative, tout
particulièrement dans les effluves aériens de la seconde partie de
soirée, où ses piani et ses qualités d’articulation en voix de
tête font merveille. Il ne lui manque qu’un rien de puissance dans les
ensembles et face à l’orchestre pour pleinement nous emporter.
On retrouve à Versailles une production donnée par deux fois à Liège (en 2014 et 2019), que Laurent Brunner a eu l’idée opportune de reprendre pour le public francilien, à l’instar d’autres spectacles comiques dans le passé (notamment Don Quichotte chez la duchesse de Boismortier, d’abord créé à Metz en 2015). Ce projet consiste à faire appel à nouveau au duo composé de Julien Lubek et Cécile Roussat, qui a fait rire plusieurs fois le public versaillais avec ses productions baroques (voir notamment Didon et Enée en 2015). Le pari est tenu face à une salle comble, étonnée par l’apport d’une troupe d’acrobates-danseurs entourant le personnage de Fabio, qui agit comme autant de bonnes fées pour l’héroïne, tout au long de l’action. Tels des explorateurs farfelus venus du futur pour nous raconter un conte bien connu (dont la version italienne diffère pourtant grandement du récit de Perrault), la troupe rivalise de gesticulations tantôt burlesques et poétiques, en un comique joyeux et bon enfant. Il faut évidemment se souvenir de l’enfant qui sommeille en nous pour se divertir de cet art sans prétention, émaillé de plusieurs surprises scénographiques.
Outre la prestation de bonne tenue du Chœur de l’Opéra Royal, l’Orchestre du même nom confirme qu’il est devenu un ensemble de qualité, depuis sa formation il y a six ans pour Les Fantômes de Versailles et les nombreuses tournées à l’étranger, de la Chine aux Etats‑Unis. A la baguette, Gaétan Jarry donne une leçon d’équilibre et de rebond rythmique parfaitement maîtrisée, conférant à son Rossini une vitalité enthousiasmante.