vendredi 3 décembre 2021

« Alcina » de Georg Friedrich Haendel - Robert Carsen - Opéra Garnier à Paris - 30/11/2021

Vous avez envie de découvrir une Alcina à nulle autre pareil ? Précipitez-vous pour (re)voir cette production de Robert Carsen, créée à l’Opéra Garnier en 1999 et plusieurs fois reprise ensuite. On comprend pourquoi ce spectacle s’est imposé sur la durée, tant le metteur en scène canadien donne une cohérence au livret avec un impact dramatique des plus stimulants. Pour cela, il supprime le rôle d’Oberto (l’enfant à la recherche de son père) et évacue la place donnée au merveilleux : Alcina l’enchanteresse devient avant tout une femme aimante, prisonnière de son incapacité à affronter la décrépitude physique du temps et l’incertitude du jeu amoureux. Tandis que l’illusion de pouvoir acheter le désir avec des esclaves sexuels s’évanouit peu à peu, sa garçonnière classieuse aux portes démesurées se révèle comme le tombeau de son humanité perdue.


En forme de huis-clos étouffant, le décor unique pendant toute la représentation joue admirablement sur l’exploration des volumes, la finesse des éclairages, très variés : la scène où Alcina accepte de perdre Ruggiero est des plus réussies, tant le rôle-titre gagne en émotion à force de raser les murs, à la recherche de la pénombre et de l’oubli de ses peines. L’autre grande force du spectacle est d’animer la succession d’airs d’une vitalité presque chorégraphique dans les interactions entre les personnages, dont la caractérisation est ainsi plus poussée. On aime aussi l’idée de transformer Oronte et Morgana en personnel de maison, ce qui permet de les identifier d’emblée dans le camp d’Alcina, rendant plus aisée la compréhension des enjeux.

Roxana Constantinescu, Sabine Devieilhe et Rupert Charlesworth

La distribution réunie, parmi les meilleures possibles du moment, remporte un grand succès auprès du public. Pour autant, l’Alcina de Jeanine de Bique (originaire de Trinidad-et-Tobago) suscite des réserves : certes dotée d’un timbre splendide dans les graves et d’une déclamation techniquement solide, la soprano donne l’impression d’un manque de noirceur pour ce rôle, tout autant qu’une voix trop légère et étouffée dans le médium. Peut-être que ses débuts à l’Opéra de Paris, un soir de première, auront contribué à nouer l’émission, trop étroite en première partie de soirée. On est aussi quelque peu déçu par le Melisso de Nicolas Courjal, au vibrato envahissant dans les récitatifs, plus convaincant ensuite dans son air de bravoure, bien projeté. Tout le reste du plateau vocal apporte heureusement un niveau de satisfaction superlatif. Ainsi de Gaëlle Arquez, grande triomphatrice de la soirée dans le lourd rôle de Ruggiero, qu’elle affronte crânement à force d’aisance sur toute la tessiture, mais également d’un impact dramatique saisissant d’engagement. A ses côtés, Roxana Constantinescu (Bradamante) donne une leçon de noblesse autour de phrasés aériens, à l’émission d’une belle rondeur, tandis que Sabine Devieilhe (Morgana) reçoit une ovation méritée, pour son agilité dans les vocalises, son brio dans l’aigu, son expressivité raffinée, tout du long. Rupert Charlesworth impose un puissant Oronte, avec un naturel d’intention et une clarté d’émission, bienvenus.

Le plaisir vient aussi de la fosse : Thomas Henglebrock fait office de maître des sortilèges, à force de sensibilité et de nuances ; il faut l’entendre faire rugir le Balthasar Neumann Ensemble (fondé en 1995 pour interpréter le répertoire baroque sur instruments d’époque) comme un seul homme dans les tuttis, tout en faisant ressortir des détails savoureux, aux vents notamment. Les attaques sèches des différents pupitres donnent un relief percutant aux phrasés, toujours au service de la conduite théâtrale. Assurément un travail qui renforce la réussite de la soirée, grandement applaudie à Garnier : un des grands spectacles de cet automne, à ne pas rater !

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