Le Palais des sortilèges fut en effet l’un des spectacles de cour
les plus fastueux montés à Rome, peu de temps avant l’interdiction
papale à l’encontre des opéras – ce qui explique pourquoi Rossi s’est
surtout illustré, tout au long de sa carrière, dans la composition de
plus de trois cents cantates. D’une durée de sept heures, le spectacle
initial comportait un luxe inouï de machinerie, ballets, sans parler des
chœurs et orchestration opulents, dont Leonardo García Alarcón (avec un
spectacle de « seulement » trois heures quarante-cinq, entracte
compris) s’est attaché à garder l’esprit coloré et volontiers
spectaculaire dans les parties cuivrées et percussives. Pour autant, le
style de Rossi se rattache davantage au théâtre musical déclamatoire
(nombreux ariosos) proche de Lully, sans ornementations virtuoses, ni
passages burlesques dans le style de Cavalli – hormis les parties
dévolues au Nain. L’imagination de Rossi impressionne tout du long par
sa fluidité naturelle, en un art volontiers miniaturiste dans les joutes
vocales, mais toujours très expressif. Dans cette optique, le rare
recours à des airs plus longs donne un relief particulier aux
interprètes qui en bénéficient, notamment l’Atlante tout de noblesse de
Mark Milhofer et l’Angelica d’Arianna Vendittelli, très émouvante à la
fin du deuxième acte. De même, Rossi fait un usage modéré des passages
brillants confiés à l’orchestre seul ou aux chœurs, qui n’en ressortent
que davantage (notamment les parties guerrières ou la chute d’Atlante),
toujours au service de l’action théâtrale.
La réalisation visuelle, d’une maîtrise digne des plus grands, joue sur l’exploration des volumes et des possibilités du décor, soutenue par la vidéo et des éclairages d’une inventivité exceptionnelle. Après l’entracte, les illusions prennent une forme plus éclatée et diffuse, tandis que la victoire contre Atlante représente une sorte de rite de passage vers le monde adulte : désormais aguerris, les jeunes gens sont désormais aptes à affronter les dangers extérieurs à leur cocon familial. A cet effet, on ne peut que saluer l’idée de renforcer la présence des danseurs (superbes Joy Alpuerto Ritter et Zora Snake), dont les rythmes saccadés constituent des moments d’une intensité hypnotique. A leurs côtés, le plateau vocal réuni n’appelle que des éloges, ce qui n’est pas une mince performance compte tenu de l’importance des forces en présence. De cette ivresse sonore sans temps mort se détachent le sensible et aérien contre-ténor Kacper Szelązek (Prasildo, Le Nain), ainsi que la technique sans faille et les phrasés d’une hauteur de vues superlative d’Alexander Miminoshvili (Mandricardo), grande révélation de la soirée.
Après le délicieux et irrésistible Richard Cœur de Lion de Grétry, repris le mois dernier (voir le compte rendu du disque/DVD), l’Opéra de Versailles nous gratifie d’une nouvelle éclatante réussite, à la hauteur de ses ambitions. On ne manquera pas d’y retrouver, en mars prochain, les équipes de Leonardo García Alarcón pour porter haut les couleurs du plus parfait chef-d’œuvre de Lully, Atys (1676), dans la mise en scène et la chorégraphie d’Angelin Prejlocaj. Il reste encore des places : profitez-en pour réserver au plus vite !
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