Duncan Ward |
Créé en 1984 par Michel Tabachnik, l’Orchestre des Jeunes de la
Méditerranée (OJM) a été intégré au Festival d’Aix‑en‑Provence en 2014,
en conservant le principe d’un recrutement d’une centaine de musiciens
dans les pays du bassin méditerranéen (à quelques exceptions près, comme
le rappelle malicieusement la présentation d’avant‑concert, en visant
la présence de deux ou trois musiciens asiatiques). Issus de vingt‑huit
pays différents, les jeunes âgés de 16 à 26 ans se sont vus adjoindre en
2015 une session séparée, appelée Medinea. Ce programme, soutenu par
l’Union européenne, vise à instituer un réseau de coopération musicale
entre les pays méditerranéens, incarné par une douzaine d’artistes
improvisateurs, tous issus du jazz et des musiques traditionnelles.
L’accompagnement pédagogique de Medinea a été confié au compositeur et
saxophoniste Fabrizio Cassol (né en 1964), partenaire incontournable des
ouvrages lyriques de son compatriote belge Philippe Boesmans : c’est là
un profil idéal pour mener à bien ce projet, tant le fondateur du
groupe de jazz Aka Moon s’intéresse depuis des décennies aux rencontres
fécondes entre musiques du monde, en globe‑trotter inépuisable.
Fabrizio Cassol |
Pour la première fois depuis 2015, les deux sessions ont été
opportunément réunies pour participer à un même concert, avec le
principe d’une création collective patiemment élaborée au fil des
répétitions, sous la houlette de Cassol. On découvre le fruit de ce
travail avec la direction solaire et enthousiaste de Duncan Ward (né en
1989), l’un des jeunes chefs les plus doués de sa génération, lui aussi
tourné vers les échanges interculturels fructueux, notamment en Inde
avec la WAM Foundation, qu’il a cofondée pour « créer des vocations musicales ».
On est heureux de retrouver l’OJM à Montpellier, accueilli pour la
deuxième fois par le Festival de Radio France, afin de nous faire
découvrir sa création collective, finalement assez courte, mais
vivifiante et entraînante. Outre les sonorités inédites confiées à
plusieurs instruments « orientaux » (notamment la clarinette
traditionnelle grecque de Panagiotis Lazaridis), on est d’emblée saisi
par le mélange très fluide entre les différentes inspirations, même si
les hommes paraissent un rien plus intimidés côté chant, en comparaison
de leurs partenaires féminines.
Progressivement, les rythmes irrésistibles prennent forme pour laisser
davantage de place à l’orchestre, irrigué de fanfares de cuivres proches
de leur équivalent chez Ibrahim Maalouf, en un ton volontiers jazzy.
Dans le même temps, le chef anglais swingue littéralement sur son
podium, n’hésitant pas à marquer le tempo d’un déhanchement pour le
moins inattendu, révélateur du plaisir collectif à sortir des codes
parfois rigides de la « grande musique ».
Adriana Bignagni Lesca |
Après l’entracte, les déflagrations rythmiques du Sacre du printemps (1913) ne posent aucune difficulté à l’OJM, qui démontre rapidement le niveau atteint, avec l’aide de plusieurs musiciens de l’Orchestre symphonique de Londres. La partition de Stravinsky est pourtant l’une des plus redoutables du répertoire, notamment dans la mise en place et la précision des attaques, ce dont se joue avec aisance Duncan Ward, imprimant autant une tension dans les passages vifs qu’un lyrisme ensorcelant, en conteur attentif, dans les parties plus apaisées. Le jeune chef n’en oublie pas de faire ressortir quelques couleurs, notamment de brefs motifs orientaux proches de la manière de Rimski‑Korsakov (le professeur de Stravinsky), avant de conclure le concert en un geste cinglant, aux scansions implacables.
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