Jodie Devos |
De mémoire de spectateur, on aura rarement vécu une soirée aussi riche
en émotion : voir la jeune et ravissante Jodie Devos (33 ans) tomber
brutalement de sa chaise en plein concert, sous les cris effarés de
plusieurs femmes aux premiers rangs, marque durablement les esprits.
Après quelques minutes interminables à scruter un signe positif sur
scène, le soulagement est palpable lorsque la soprano belge regagne les
coulisses, bien sonnée mais manifestement consciente, pour le plus grand
bonheur de l’assistance. Si le début de la Première Symphonie de
Ralph Vaughan Williams (1872‑1958) avait résonné des appels entêtants
du chœur à se méfier de la mer, le danger, ce soir, venait plutôt de la
chaleur caniculaire à Montpellier, sans doute à l’origine de ce
malaise – de même que l’enjeu de ce concert, parmi les plus attendus de
l’été.
C’est là en effet un des programmes les plus réjouissants proposés à
Montpellier dans le cadre du Festival de Radio France, en résonance avec
le thème « So British » choisi pour cette édition 2022, de ceux qu’on
appelle régulièrement de nos vœux pour faire vivre le répertoire dans
toute sa diversité, bien au‑delà des seules grandes symphonies
germaniques trop souvent rebattues. Un grand bravo à Jean‑Pierre
Rousseau, directeur du festival (dont le mandat s’achève cette année,
avec la nomination annoncée de Michel Orier), pour cette audace
récompensée par un public venu en nombre, avec le soutien remarqué du
maire de la ville, Michaël Delafosse, présent dans la salle avec
d’autres édiles locaux.
La soirée commence sous les meilleures hospices avec l’un des plus
parfaits chefs‑d’œuvre d’Edward Elgar (1857‑1934), le cycle de cinq
mélodies Sea Pictures (1899), contemporain des célèbres Variations Enigma.
Malgré l’absence de surtitres, assez surprenante pour une salle dotée
de tous les moyens modernes, on reste suspendu aux lèvres de Marianne
Crebassa, enfant du pays vivement applaudie à l’issue de sa prestation :
il y a de quoi, tant la mezzo pare ses graves d’un velouté radieux,
admirable d’homogénéité sur toute la tessiture, au service d’une
incarnation attentive au texte. A peine pourra‑t‑on lui reprocher une
absence de prise de risque en certains endroits, mais ça n’est là qu’un
détail à ce niveau superlatif. A ses côtés, l’Héraultaise bénéficie de
l’accompagnement de velours de Cristian Măcelaru, toujours attentif à ne
pas couvrir sa chanteuse : l’allégement des textures est un régal tout
du long, de même que l’attention décisive aux nuances, portée par une
relance du discours musical souple et aérienne.
Après l’entracte, l’excitation est palpable dès les premières mesures péremptoires de la Première Symphonie
de Vaughan Williams : le compositeur anglais ne ménage pas ses effets
pour mettre en valeur sa science de l’orchestration, qui évoque
davantage Dukas que Ravel (son professeur à Paris), emportant l’auditeur
dans un souffle ardent et revigorant, soutenu par la présence quasi
omniprésente du chœur – ce dernier très bien préparé par Christophe
Grapperon, même si le niveau de virtuosité attendu n’égale pas ses
équivalents britanniques. Après l’interruption du concert due au malaise
de Jodie Devos, celui‑ci repart sans reprendre le premier mouvement,
pour laisser à la chanteuse le temps de retrouver ses esprits.
A l’ivresse mordante du début succède l’un des sommets de la partition,
la méditation « Seul sur la plage, la nuit », qui surprend par son
orchestration raréfiée dans les graves, avec un chœur plus brillant en
contraste. Malgré un timbre un peu fatigué, Gerald Finley donne une
hauteur de vue bouleversante à cette page évocatrice, autant par sa
noblesse de phrasés que sa parfaite articulation. Le scherzo qui suit,
« Les Vagues », redonne une place prépondérante au chœur, au ton direct
et éclatant dans ses apostrophes à l’unisson : après le subtil étagement
des sonorités lors du mouvement précédent, Cristian Măcelaru a le bon
goût de ne pas forcer l’enthousiasme de cette page stimulante, à
l’instar du long finale de la symphonie, qui voit le retour de Jodie
Devos.
Avant le duo conclusif avec Finley, c’est le chœur qui ravit une
nouvelle fois au début du Finale par son émotion étreignante, épaulé
ensuite par le brio des cuivres, qui reprend le dessus en majesté. En
fin de concert, les commentaires ébahis des spectateurs autour de soi,
manifestement étonnés de la richesse d’inspiration de l’ouvrage,
montrent combien Jean‑Pierre Rousseau a atteint son but : éveiller et
stimuler la curiosité du public, encore et toujours plus. Gageons que
son successeur saura garder ce cap !
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