Ces dernières années, de plus en plus d’oratorios sacrés se voient adjoindre des mises en scène permettant d’en révéler toute la profondeur, à l’instar des opéras. Ce sont surtout les ouvrages baroques qui ont été revisités, dans un premier temps, comme par exemple Jephté de Haendel en 2018, Il primo omicidio de Scarlatti en 2019 ou Saul de Haendel en 2020. C’est désormais le tour des oratorios profanes, à l’instar des Scènes de Faust de Schumann (1843-1853) présentées à l’Opéra des Flandres (à Gand, puis Anvers), avant Montpellier l’an prochain.
On doit l’origine de ce projet à Philippe Herreweghe (né en 1947), qui admire cet ouvrage depuis son enregistrement discographique paru en 1998 pour Harmonia Mundi. Auparavant, il avait fallu attendre les bons soins de Benjamin Britten, auteur d’une première résurrection au XXème siècle, avec l’impérial Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle de Faust (Decca, 1972). Alors que le mythe de Faust a inspiré de nombreux musiciens, Robert Schumann a été l’un des premiers à oser réunir les deux pièces de 1808 et 1831, pourtant très différentes de ton, qui parachèvent le parcours initiatique de Faust jusqu’en Grèce antique, autour d’un message de plus en plus philosophique et mystique.
Déjà atteint par les symptômes incurables de sa maladie mentale, Schumann parvient à achever l’ouvrage au prix d’un effort considérable, étant ralenti par sa volonté d’être à la hauteur de Goethe. Alors à l’apogée de ses moyens artistiques, le compositeur trouve là une résonance avec ses doutes et aspirations, même s’il ne parvient pas à ôter à l’ouvrage son aspect fragmentaire et statique. Malgré certaines parties inégales, la musique est du meilleur Schumann, empruntant surtout à Mendelssohn dans la noblesse d’âme des grands choeurs, tout en distillant quelques audaces harmoniques par endroit, sans parler du flux continu particulièrement envoutant sur la durée. Seule l’ouverture, pourtant composée en dernier, déçoit par son orchestration trop compacte et malheureusement peu inspirée au niveau mélodique.
Quelle belle idée, aussi, de faire appel à Julian Rosenfeldt pour mettre en scène cette histoire impossible, qui s’éparpille en de multiples événements et sous-événements ! Le vidéaste allemand choisit astucieusement de ne pas montrer toutes les péripéties du récit pour mieux se concentrer sur le message global de Goethe, imaginant une humanité en errance dans l’univers, à la recherche de sens : modernisée en une quête futuriste (et manifestement post-apocalyptique, comme le suggère les images d’une immense ville abandonnée dans un climat désertique), les images vidéos omniprésentes manient les références à la science-fiction, de Star Wars à 2001, l’Odyssée de l’espace, en passant par Dune. Avec cette utilisation virtuose de la vidéo, Rosenfeldt convoque toute une série d’images fascinantes, tandis que les interprètes sont tous présents sur scène pendant la totalité du spectacle (choristes compris), ce qui a pour avantage de rendre plus cohérentes les interventions des (trop) nombreux personnages, unis par un même but : participer à la transfiguration finale de Faust, comme une cérémonie grandiose à laquelle personne ne voudrait échapper. Les rideaux rouges qui font leur apparition au III donnent à cette manifestation un caractère théâtral qui fait d’autant plus ressortir ce moment-clé, parmi les plus belles pages de l’ouvrage.
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