On reste toujours aussi émerveillé par le site de Vézelay, niché sur une
butte visible au loin lorsqu’on arrive en voiture, sans parler de la
façade majestueuse de la basilique Sainte-Marie-Madeleine, à l’éclat
retrouvé depuis sa rénovation extérieure : toute la finesse des détails
des sculptures, jadis remodelées par Viollet‑le‑Duc, laisse pantois,
tandis que l’intérieur réserve encore de nombreuses surprises, notamment
le tympan du narthex, chef‑d’œuvre visible dans un état de conservation
tout simplement bouleversant.
L’écoute d’un concert dans la vaste nef romane, à l’occasion de la
vingt‑deuxième édition des Rencontres musicales de Vézelay, est un
incontournable à ne manquer sous aucun prétexte, fêté par un public venu
en nombre cette année. On reste sidéré devant la capacité de François
Delagoutte, le dynamique et enthousiaste directeur artistique du
festival, à faire venir sur quatre jours des ensembles aussi renommés
que Les Siècles, les chœurs de la Radio lettone, Ghislieri ou Aedes, à
chaque fois au service d’une programmation audacieuse. A seulement
35 ans, le successeur de Nicolas Bucher en 2018 (qui avait lui‑même pris
en 2015 le relais du fondateur Pierre Cao), n’a pas son pareil pour
réunir les artistes et les inciter à sortir des sentiers battus : on
pense par exemple à la passionnante confrontation imaginée entre
Philippe Hersant et le chef franco‑hongrois Bruno Kele‑Baujard, fruit
d’une création mondiale interprétée en contraste avec des musiques de
Transylvanie, mâtinées d’influences tziganes.
Mais c’est peut‑être plus encore le concert du soir en la basilique qui
reçoit tous les suffrages, autant par sa hauteur d’inspiration que son
programme d’une grande originalité : l’émotion est également venue
s’installer en fin de concert, lorsque le chef Mathieu Romano (né en
1984) a pris la parole pour remercier les responsables du festival,
comme le public, de sa confiance renouvelée pendant trois années en
résidence à la Cité de la voix. Un mandat qui s’achève avec cette
édition, le chœur Les Métaboles prenant la relève l’an prochain. En
attendant, Mathieu Romano confirme toute sa maîtrise de l’acoustique des
lieux, se jouant des masses en présence pour faire ressortir de
nombreux détails ici et là, à chaque fois en des tempi mesurés. C’est
particulièrement audible dans la lenteur habitée de l’énigmatique Question sans réponse
(1908) de Charles Ives, qui résonne des interventions brusques de la
trompette et des vents, en contraste avec le tapis de velours pianissimo et sinueux aux cordes.
Le chef n’hésite pas à se jouer de la spatialité sonore, en faisant
jouer la flûte aérienne de Marion Ralincourt dans les hauteurs qui
séparent la nef du narthex. Avant les audaces dissonantes de Jolivet
avaient résonné la sérénité des chœurs de Janequin, d’une douceur
ensorcelante (à l’instar du ravissant bis Toutes les nuits, en
fin de soirée). Avec Chtchedrine, mêmes instants de beauté
apolliniennes, autour de mélanges de murmures et d’envolées mouvantes,
comme des vagues en ressac.
Après les individualités mises en avant par Gesualdo, puis l’épure
répétitive de Pärt, le magnifique programme se poursuit avec Messiaen – à
chaque fois sans applaudissements entre les pièces. L’effet produit
entre la fin de la fanfare de L’Ascension et les méandres tragiques du Stabat Mater
de Poulenc est saisissant : on regrette de ne pas pouvoir entendre plus
souvent ce chef‑d’œuvre d’intensité vibrante, ici interprété avec des
transitions aux angles polis, en une étonnante douceur vaporeuse par
endroit. Le chœur bénéficie de cet allégement orchestral en faisant
ressortir ses qualités de timbre et de clarté d’émission, même si la
virtuosité dans le rebond rythmique n’atteint pas ses équivalents
anglais, notamment. La soprano Marianne Croux montre une sûreté
d’émission bienvenue, mais qui manque souvent de mordant dans les
graves, assez peu audibles. L’aigu, en revanche, est parfaitement
projeté, au service d’une interprétation sans pathos appuyé, à l’instar
de la vision choisie par le chef.
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