Giulio Prandi |
Si les plus courageux ont pu se joindre le lendemain matin à l’interprétation participative d’une cantate de Bach, dans l’église voisine de Saint‑Père, les mines paraissaient plus réveillées à la mise en oreille d’avant‑concert, consacrée à la Petite Messe solennelle (1864) de Rossini. C’est l’érudit musicologue Nicolas Dufetel, aussi accessible que facétieux, qui nous embarque dans les délices d’ironie de Rossini, avec force extraits musicaux. On découvre un compositeur « retraité » au fait de sa gloire, qui profite de ses succès d’avant les années 1830 pour parader de salon en salon, tout en composant quelques Péchés de vieillesse aux titres volontiers farfelus.
Que faut‑il penser de sa dernière œuvre d’importance, cette messe qui n’est en rien petite ou solennelle ? Est‑ce un ultime pied de nez, comme pourrait le laisser penser la dédicace sibylline au « Bon Dieu » ? On peut le croire, tant l’ouvrage créé dans un salon avec tout le gratin parisien, Nonce compris, ressemble furieusement à un « dîner de cons » avant l’heure, avec sa musique opératique bien éloignée des canons sérieux de ses contemporains autrement plus fervents – Gounod et Liszt en tête. Quoi qu’il en soit, le compositeur semble vouloir tirer les ficelles dramaturgiques jusqu’au bout de sa vie, à l’instar du Rossini grimé en Monsieur Loyal, imaginé à Lyon en 2017 par Stefan Herheim pour La Cenerentola.
Francesco Corti |
L’orchestration originale de la messe, réalisée pour deux pianos et un
harmonium (pied de nez, là aussi ?), fait précisément ressortir l’humour
du compositeur, notamment en son début péremptoire à la rythmique
obstinée, bien soutenu par les tempi enlevés de Prandi. Le piano félin
et dynamique de Francesco Corti, jamais avare de malice, est un régal
tout du long, à juste titre vivement applaudi en fin de représentation.
Le choix d’un Erard pour Corti, comme au disque, permet de se
délecter de sonorités sombres et corsées, qui donnent beaucoup de
caractère et de sensibilité à l’ensemble.
Corti est entouré de tous les autres interprètes déjà présents sur le disque gravé par Giulio Prandi l’an passé pour Arcana,
à l’exception de la soprano Sandrine Piau et du second piano tenu par
Christiano Gaudio. Les solistes apportent beaucoup de satisfactions dans
l’ensemble, même si l’on note quelques problèmes de positionnement pour
le suraigu de Marie Lys, très en voix par ailleurs. Outre l’aérien
Edgardo Rocha, on aime le chant sensible et incarné de Josè Maria
Lo Monaco (superbe Agnus Dei), tandis que Christian Senn apporte
beaucoup d’humanité à son interprétation vibrante, malgré des passages
de registres un peu brusque vers l’aigu poitriné.
Un rien trop bavard et inégal d’inspiration, cet ouvrage bénéficie de la
finesse d’interprétation de Giulio Prandi, toujours aussi attentif aux
moindres détails et nuances. Déjà invité l’an passé à Vézelay, dans un
programme Galuppi/Vivaldi proche de celui entendu à Ambronay en 2015,
le chef italien semble littéralement porter ses solistes : il faut le
voir fixer son regard pétri de concentration sur ses chanteurs,
notamment lors de leurs solos, prêt à intervenir à la moindre saute de
mémoire, lui qui dirige sans partition. Avec son excellent chœur
constitué de seize chanteurs, Prandi trouve des trésors de subtilité
dans ses phrasés, portés par une attention au texte et à l’intention
générale de Rossini – humour compris.
En bis, sa générosité éclate plus encore lorsqu’il invite les membres du
chœur non professionnel Anima, basé à Pau, à le rejoindre sur scène. Le
Kyrie initial est repris en totalité pour le plus grand bonheur
de l’assistance, les quatre solistes se joignant aux chœurs pour ce
moment de partage à nul autre pareil.
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