L’Opéra de Paris avait créé l’événement voilà cinq ans en faisant entrer à son répertoire l’un des plus parfaits chefs d’oeuvre de Gaetano Donizetti, Don Pasquale (1843) : après la reprise de 2019, c’est là une nouvelle occasion de découvrir cet ouvrage aussi délicieux que méconnu dans nos contrées. Composé pour le Théâtre Italien, cet opéra bouffe doit beaucoup de son charme à son orchestration en grande partie portée par les vents, qui dut séduire le public parisien à la création par sa coloration féline et aérienne. La direction de Speranza Scappucci, toute de légèreté admirablement étagée au niveau des différents pupitres, est l’un des grands atouts de la soirée : le sens de la respiration et des nuances, particulièrement dans les parties apaisées, est un régal tout du long, apportant aux chanteurs un tapis de velours qui ne les obligent pas à forcer leur instrument. Toujours fluide et équilibré, ce geste s’éveille dans les passages plus enflammés, gardant tout son rythme à la pochade de Donizetti.
Si le livret lorgne du côté de Goldoni en narrant les inévitables duperies autour d’un barbon en mal de sensation libidineuse, il peine à soutenir l’intérêt tout du long, du fait d’un sentiment de déjà-vu. C’est sans doute pourquoi Damiano Michieletto choisit de donner davantage de profondeur aux différents personnages, en montrant plusieurs sous-textes tout au long de l’action. Ainsi de Don Pasquale grimé en vieux garçon terne et solitaire, finalement touchant lors de la réminiscence des scènes d’enfance avec sa mère. A ses côtés, le personnage muet du majordome, ici interprété par une malicieuse Marie-Pascale Grenier, gagne en importance autour de quelques saynètes savoureuses avec le barbon, même si l’interlude avec trompette solo montre l’envers du décor d’une solitude tragique, en écho à celle de Don Pasquale.
L’opposition entre le monde figé de Don Pasquale et la jeunesse rayonnante de Norina est parfaitement incarné par la scénographie, qui balaye l’intérieur poussiéreux du barbon pour faire entrer la modernité d’un studio photo avec caméra : c’est là l’occasion de figurer les rêves de grandeur de l’habilleuse Norina, déjà toute étourdie par le tour qu’elle s’apprête à jouer avec Malatesta. Seul le dernier acte baisse quelque peu en intensité, avec un usage de marionnettes qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est faire office de remplissage. Quoi qu’il en soit, le travail de Michieletto reste fidèle à l’ouvrage par son attention aux nécessités comiques, tout en offrant une profondeur tragique inattendue en montrant la solitude des êtres, une fois éloignés de l’apparat social.
Le plateau vocal réunit se montre de bonne tenue, sans pour autant atteindre les sommets. Très efficace au niveau théâtral, Laurent Naouri (Don Pasquale) ne peut toutefois faire oublier un timbre aux aigus fatigués, parfois inaudible face à l’orchestre. Les graves le montrent plus à son avantage, à l’instar d’un Florian Sempey (Dottor Malatesta) bien en voix. C’est là un rôle à la mesure baryton français, qui n’a pas à forcer l’émission outre mesure pour faire valoir toutes ses qualités de diction. On aime aussi l’aisance naturelle et aérienne de René Barbera (Ernesto), qui porte la beauté de son timbre solaire tout du long. Manquant de volume en comparaison, Julie Fuchs (Norina) compense cet inconvénient par une solidité technique sans faille sur toute la tessiture, autour d’aigus d’une facilité déconcertante de brio et d’agilité.
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