Voilà près de dix ans, la production d'Ali-Baba montée à l’Opéra-Comique nous rappelait combien l’héritage lyrique de Charles Lecocq, rival d’Offenbach en son temps, ne pouvait se réduire à son seul chef d’oeuvre La Fille de Madame Angot (1872). C’est précisément ce titre, pilier incontournable d’un répertoire à mi-chemin entre opéra-comique et opérette, que l’on retrouve Salle Favart pour cette rentrée, en partenariat avec les équipes du Palazzetto Bru Zane. Le Centre de musique romantique française s’était déjà illustré voilà deux ans en donnant une version de concert dirigée par Sébastien Rouland, en habituel prélude à la nouvelle intégrale de l’ouvrage gravée pour la collection «Opéra français».
Disons-le tout net : si l’exécution musicale n’atteint pas le degré de perfection attendu, notamment en terme de mise en place, elle l’emporte toutefois largement sur le disque précité, mettant au coeur de ses intentions la double exigence redoutable de ce type d’ouvrage, à savoir posséder autant des qualités vocales que théâtrales poussées pour parvenir à une expressivité haute en couleur et sans cabotinage. L’artisan incontestable de cette réussite est Hervé Niquet, qui montre là tout son amour pour ce répertoire, en empoignant la partition d’une vitalité rythmique enjouée, à même de faire vivre le plateau. On pourra évidemment noter quelques décalages ici et là avec ses chanteurs, parfois dépassés par les tempi dans les verticalités, mais il n’en reste pas moins que cette musique sait pétiller comme du champagne : un but brillamment atteint, avec les forces de l’Orchestre de chambre de Paris, très engagé pour l’occasion.
Que dire aussi de l’excellent Choeur du Concert Spirituel ? Bien qu’un peu trop sonore au I, il donne à chacune de ses interventions un entrain millimétré, à même de rendre l’énergie populaire propre à l’ouvrage, autour d’une attention notable au niveau de la diction. Très réussie également, la prestation des seconds rôles impressionne par son abattage comique, tout particulièrement les superlatifs Pierre Derhet (Pomponnet) et Matthieu Lécroart (Larivaudière), à juste titre très applaudis en fin de représentation. On aime aussi la prestation toute d’aisance dramatique de Julien Behr (Ange Pitou), qui sait porter l’ambivalence de son personnage, et ce malgré une émission un peu étroite par endroit. Les femmes sont plus en retrait, en peinant à porter la gouaille et l’insolence de leur rôle. Ainsi de Véronique Gens (Mademoiselle Lange), dont l’allure aristocratique peine à convaincre ici, de même que la projection limitée dans les dialogues, trop fades. Il reste bien sûr le sens de l’élégance et l’art des phrasés, mais le compte n’y est toujours pas au niveau comique. On lui préfère Hélène Guilmette (Clairette Angot) en ce domaine, même si on aimerait davantage de présence et surtout de substance dans le timbre, parfois trop pâle.
La mise en scène de Richard Brunel transpose l’action dans les conflits sociaux de la fin des années 1960, afin de restituer la compréhension des enjeux au public d’aujourd’hui, moins connaisseur de la période du Directoire : l’opposition entre monarchistes et républicains prend ici des allures de lutte des classes, avec les bourgeois nantis opposés aux ouvriers contestataires. Le propos est sympathique, sans jamais prendre une ampleur plus élaborée, compte tenu des limites du livret, mais reste surtout séduisant dans son illustration visuelle : l’impressionnante structure métallique imaginée par Bruno de Lavenère donne autant un festival de couleurs que du volume à l’ensemble, permettant à l’énergie des artistes de se déployer sur un espace étendu. Avec le plateau tournant, ce décor astucieux sait aussi réserver quelques surprises, tel que ce cinéma magnifié par la beauté des éclairages variés de Laurent Castaingt, avec plusieurs clins d’oeil savoureux aux films de l’époque (dont ceux de Jacques Demy).
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