Figure aussi excentrique que géniale du rock indépendant américain, le guitariste et compositeur Frank Zappa (1940‑1993) s’est intéressé tout au long de sa carrière aux mélanges des genres, mettant à profit sa rencontre en 1970 avec le chef indien Zubin Mehta, pour travailler avec le Philharmonique de Los Angeles : suivent plusieurs concerts d’ampleur, donnés devant 12 000 personnes et consacrés aux compositions de Zappa, en même temps que les célébrations de son compositeur favori Edgard Varèse, décédé cinq ans plus tôt à New York.
Un an plus tard, Zappa se tourne vers l’Orchestre philharmonique royal
de Londres pour enregistrer la bande originale du film expérimental 200 Motels,
une sorte de vrai‑faux documentaire satirique où l’auteur exprime son
mal‑être face à l’Amérique profonde, conservatrice et puritaine. Avec
son refus radical de tout récit conventionnel, Zappa mêle l’absurde avec
un sens du comique volontairement trash. Il faut bien entendu
aller au‑delà des provocations et des outrances, souvent portées sur
l’exploration de la libération des mœurs (notamment au niveau sexuel)
pour apprécier pleinement l’humour de cette pochade, indissociable de la
période post‑mai 1968.
Ecrite pour tromper la monotonie des différentes tournées réalisées à travers les Etats‑Unis, d’hôtel en hôtel, la musique de 200 Motels
impressionne par son éclectisme qui ne donne jamais l’impression d’un
collage, empruntant autant à la comédie musicale et à la musique de film
(façon Bernard Herrmann) qu’au sérialisme, en passant par quelques
réminiscences du Stravinski du Sacre du printemps. Des influences
revendiquées qui impressionnent autant par leur entrelacement virtuose
que leur instrumentation brillante, le tout réparti entre groupe de rock
et orchestre symphonique, lui‑même augmenté de percussions pléthoriques
(une dizaine d’interprètes requis) ! La découverte de cet Ovni musical
très expressif ne cesse de fasciner tout du long, sans aucune baisse de
régime : une exigence qualitative qui explique pourquoi un Pierre Boulez
enregistra par la suite un disque Zappa, en 1984, avec l’Ensemble
intercontemporain. Excusez du peu !
Le spectacle imaginé par Antoine Gindt joue la carte de la sobriété, avec ses nombreux gros plans qui apportent lisibilité à l’action, même si on ne sait parfois plus où regarder, entre la scène et l’écran. Gindt ne cherche pas à alourdir le propos d’une surenchère d’images, et s’en tient à quelques clins d’œil, comme ce double de Frank Zappa qui surveille le spectacle et donne ostensiblement son avis au chef d’orchestre. On peut trouver que cette proposition manque d’une certaine folie, mais elle permet toujours de se concentrer sur le texte, en aidant le spectateur à pénétrer les interrogations existentielles de Zappa, camouflées derrière ses visées sarcastiques.
Si tous les interprètes sont sonorisés, on note toutefois un déséquilibre s’agissant du chœur, dont la projection apparaît insuffisamment soutenue par rapport aux autres protagonistes. Tous les chanteurs réunis montrent un niveau superlatif, particulièrement l’implication hallucinée et haut perchée de Mélanie Boisvert (La soprano solo), de même que la présence pénétrante de Mark Van Arsdale (Mark), au timbre profond. Seul Lionel Peintre (L’animateur télé, Cowboy Burt) manque de gouaille et de couleurs dans ses différents rôles, tous un peu trop pâles. Trop timide au début, l’Orchestre philharmonique de Nice finit par emporter l’adhésion à force d’engagement, bien aidé par un Léo Warynski très attentif à l’articulation entre tous les interprètes, du plateau à la fosse.
On ressort de ce spectacle avec des étoiles plein les yeux, convaincu du génie protéiforme de Zappa, à juste titre célébré par une standing ovation.
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