Monté en 2021 dans la production délirante d’Ersan Mondtag à Anvers, que l’on retrouvera en avril prochain à Nancy, Le Lac d’argent
(1933) fait un retour remarqué à Mannheim, en un nouveau spectacle
confié à l’imprévisible metteur en scène espagnol Calixto Bieito.
D’emblée, les spectateurs sont surpris par l’accueil d’un maître de
cérémonie au verbe haut en couleur, qui commente l’action tout en
s’occupant de la loterie, tandis que la scénographie dévoile un podium
tout en longueur, façon défilé de mode. L’Opéra de Mannheim a eu la
bonne idée de choisir une ancienne petite fabrique industrielle pour
accueillir ses spectacles pendant la rénovation de sa salle principale :
un charme indéniable s’en détache, même si l’on peut regretter son
éloignement du centre‑ville.
Bieito se saisit des lieux pour en embrasser toutes les possibilités
spatiales, les comédiens-chanteurs épousant les moindres recoins de la
salle pendant toute la soirée, en une énergie roborative et toujours en
lien avec les moindres inflexions du récit. Si le début déçoit par
l’emploi redondant et bruyant des conteneurs poubelles pour figurer
l’extrême pauvreté des protagonistes, cette effervescence s’assagit
ensuite pour mettre en valeur le luxe du château, incarné par un long
tissu doré sur toute la longueur du podium. Tel le vers dans le fruit,
c’est bien Fennimore qui initie ce changement de perspective visuelle,
en dévoilant et ôtant ce voile comme un symbole de travestissement : le
gagnant Olim et son protégé Severin ne semblent ainsi jamais pouvoir
s’extraire de leur statut d’imposteur dans le monde cloisonné des
riches. Si Bieito refuse de voir une relation aux sentiments ambigus
entre les deux hommes (comme l’avait suggéré Mondtag à Anvers), il
insiste davantage sur les clivages de classe entre les personnages, en
montrant une vénéneuse Frau Luber, ivre de puissance et d’une cruauté
inouïe au moment de sa victoire : les humiliations subies par Olim et
Fennimore constituent des images fortes au III, de même que la
bouleversante vision finale des mirages du lac d’argent, dont on ne
dévoilera pas l’issue surprenante.
Enfin, Jürgen Goriup dirige un excellent orchestre local (quels cuivres !), en des tempi modérés mais toujours en lien avec les intentions narratives. Un tapis de velours idéal de raffinement dans les parties mélancoliques, souvent chorales, bien contrasté avec les élans plus dansants et rythmiques, à l’esprit cabaret ou jazzy, qui parcourent cette lumineuse partition.
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