jeudi 14 décembre 2023

« Fantasio » de Jacques Offenbach - Thomas Jolly - Opéra Comique - 13/12/2023

 

Signe de son succès depuis sa création en 2017, à Paris puis Genève, en, passant par Montpellier deux ans plus tard, la production de Fantasio (1872) de Jacques Offenbach imaginée par Thomas Jolly fait son retour à l'Opéra-Comique pour les fêtes de fin d'année, à guichets fermés. Le Hall de la Salle Favart a été décoré pour l'occasion aux couleurs du bouffon Fantasio, en jaune et noir, tandis que les ouvreurs arborent sa coiffe à trois cornes.

Une entrée en matière colorée que contredit pourtant l’atmosphère nocturne privilégiée par la mise en scène durant tout le spectacle : Thomas Jolly réussit le tour de force de plonger ses interprètes dans une pénombre énigmatique et envoûtante, magnifiée par la variété des éclairages, dont plusieurs évoquent les concerts pop par leurs faisceaux multidirectionnels mis en valeur par les fumigènes (à l’instar de ce qu’il avait déjà proposé pour Eliogabale de Cavalli). Avec sa capacité à créer des saynètes poétiques lorgnant vers Méliès, Jolly n’en oublie pas la vitalité du plateau, souvent enflammé d’une multitude de détails savoureux, en lien avec les intentions musicales et dramatiques. L’esprit forain privilégié pour les scènes populaires, très dynamiques, contraste avec les parties aristocratiques plus statiques, mais toujours agrémenté d’une exploration du décor astucieuse. On comprend dès lors pourquoi le metteur en scène français est aujourd’hui demandé partout, de Starmania à la cérémonie des Jeux Olympiques…

On ne pouvait rêver meilleur écrin pour servir la musique toute de raffinement d’Offenbach, qui tente avec Fantasio de monter en grade, après plusieurs échecs dans le domaine plus exigeant de l’opéra-comique. Le début de l’ouvrage laisse ainsi entendre un compositeur éloigné des ivresses rythmiques de ses grands succès boulevardiers, dédiés à la muse plus facile de l’opérette : de quoi laisser entrevoir les délices de tendresse et de poésie du « petit Mozart des Champs-Élysées », annonciateurs de son ultime chef d’oeuvre posthume, Les Contes d’Hoffmann (1881). Il fallait certainement un chef de la trempe de Laurent Campellone pour saisir tout le raffinement de ce bijou noir, dont l’étagement des mélodies parcourt tout l’orchestre d’une fluidité sans pareil. Parfois sous-estimé, l’Orchestre de Chambre de Paris sonne sous sa baguette comme ses équivalents plus prestigieux, tout particulièrement au niveau des couleurs, au rayonnement solaire. Autre atout décisif, le Choeur Aedes démontre toute son implication, entre vitalité d’engagement et cohésion d’ensemble.

Le plateau vocal emporte l’adhésion par son homogénéité, malgré quelques infimes réserves de détail. Grande triomphatrice de la soirée au niveau vocal, Gaëlle Arquez s’impose dans le rôle-titre par sa souplesse d’émission sur toute la tessiture, autant que ses phrasés bien articulés, au timbre velouté. Il est toutefois dommage que la mezzo française montre quelques limites dans les passages parlés, d’une raideur d’expression un rien scolaire. Jodie Devos (la Princesse Elsbeth) parvient à conjuguer cette double exigence vocale et théâtrale, donnant une leçon de raffinement et d’à-propos rythmique, d’une grande justesse dramatique. Plus en retrait, Jean-Sébastien Bou souffre dans la tessiture aiguë, avant de convaincre par son aplomb scénique, à l’instar d’un Franck Leguérinel (le Roi de Bavière) qui compense ainsi un timbre terne et rugueux. Autour des désopilants François Rougier et Matthieu Justine, d’un tempérament comique très juste, Thomas Dolié se distingue en Sparck par sa profondeur d’intentions, malgré une projection modeste dans les ensembles.

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