mercredi 6 décembre 2023

« Adriana Lecouvreur » de Francesco Cilea - Daniele Rustioni - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 05/12/2023

Daniele Rustioni

On se réjouit de retrouver l’une des perles les plus fameuses du vérisme faire un retour de premier plan sur les planches, après Liège au printemps et avant Bastille en janvier prochain. Si l’absence de mise en scène, au Théâtre des Champs‑Elysées comme à Lyon (où le même concert a été donné à l’Auditorium Maurice Ravel), n’aide pas toujours à bien suivre l’action alambiquée, surtout au début, elle n’empêche pas les interprètes de ciseler le caractère de leurs personnages, tout au long de la soirée. On pense en premier lieu aux regards vénéneux de Clémentine Margaine décochés à sa grande rivale Tamara Wilson, qui exprime un troublant mélange de majesté et de fragilité, surtout dans la bouleversante dernière partie de l’ouvrage.

Le plateau vocal proposé frise la perfection s’agissant des deux principales interprètes féminines, dont l’investissement dramatique de tous les instants impressionne. Après ses récents triomphes dans les hauteurs glacées de la tessiture de Turandot, à Amsterdam puis Bastille, Tamara Wilson montre une nouvelle facette de son talent, en mettant à profit son aisance théâtrale dans les passages déclamatoires, très nombreux ici. Il faut entendre avec quelle autorité elle se saisit de son entrée sur scène ou du monologue de Phèdre, abordant ensuite les envolées lyriques avec une souplesse et un naturel confondants, sans parler de sa maîtrise parfaite des sauts de registre. A ses côtés, Clémentine Margaine (Princesse de Bouillon) n’est pas en reste, faisant du duo avec Tamara Wilson l’un des grands moments d’intensité de la soirée : on ne sait qu’admirer le plus chez Margaine, entre ses graves colorés et mordants, à la résonance admirablement projetée, ou ce feu intérieur qui émane de tous les pores, en un ton toujours juste.

Tamara Wilson
On aime aussi la jeunesse vocale rayonnante de Brian Jagde (Maurizio), qui empoigne toutes les difficultés du rôle avec vaillance et lyrisme, même si on pourrait souhaiter davantage de subtilité en certains passages. Misha Kiria (Michonnet) donne quant à lui davantage de variété dans ses phrasés, parfaitement articulés, même s’il montre des difficultés pour atteindre le suraigu. Maurizio Muraro (Prince de Bouillon) fait valoir une présence sonore d’une grande classe, malgré un timbre un rien fatigué, tandis que Robert Lewis (Abbé de Chazeuil) se distingue par ses phrasés imaginatifs et solaires, à même de donner beaucoup de saveurs aux différentes facettes de son rôle. Tous les seconds rôles emportent l’adhésion, de même que les Chœurs de l’Opéra de Lyon, toujours très précis.

L’autre grand atout de la soirée vient de la direction tout en contrastes de Daniele Rustioni, qui se joue des tempi pour enflammer certaines verticalités d’une vivacité nerveuse, avant de s’apaiser dans les parties plus intimistes en faisant ressortir quelques détails d’orchestration inouïs de raffinement. La pâte sonore volontairement allégée fait entendre un Rustioni tour à tour espiègle et virevoltant, en orfèvre toujours attentif à la clarté des plans sonores.

Une grande soirée qui démontre combien les « petits maîtres » de la jeune école italienne, tels que Cilea, ne doivent pas disparaitre dans les nimbes des répertoires oubliés : à cet égard, on aimerait vivement que le Théâtre des Champs‑Elysées ose nous faire entendre sur scène un ouvrage religieux de Lorenzo Perosi (1872‑1956), dont Puccini disait qu’il y a « davantage de musique chez Perosi que dans la sienne et celle de Mascagni réunies ».

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