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| Andris Nelsons |
Un nouveau festival à Paris ? C’est le projet qu’initie en cette rentrée la Philharmonie, avec l’organisation de cinq concerts de prestige, réunissant les phalanges musicales de Leipzig, Berlin, Milan et Paris, toutes dirigées par les meilleurs chefs du moment. Appelée « Prem’s » sur le modèle des Proms londoniens, cette première édition lance un clin d’œil au plus célèbre des festivals symphoniques, en reprenant le principe populaire d’un placement debout au parterre : 700 places au tarif de 15€ sont ainsi proposées pour chaque programme, ce qui en fait une des propositions les plus alléchantes de ce début de saison, à ne rater sous aucun prétexte !
A l’instar des Proms, le dernier concert très attendu avec l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä se distingue par son programme original, autour de la France et de l’Amérique : on ne sait pas encore si le public sera incité à chanter, comme c’est le cas à Londres pour accompagner les pièces patriotiques britanniques (au premier rang desquelles la première marche militaire de Pomp and Circumstance d’Elgar), mais c’est là une hypothèse à envisager. En attendant, le festival accueille pour deux concerts (dont le premier la veille, dédié à Dvorak et Sibelius), l’un des orchestres les plus fameux d’outre-Rhin, le Gewandhausorchester de Leipzig. En tournée européenne, l’orchestre allemand a notamment fait étape aux… Proms, avant sa venue à Paris. On le retrouve pour un programme d’une grande cohérence, qui confronte les inspirations religieuses de deux géants du XIXème siècle, Mendelssohn et Brahms, inspirés par les racines protestantes germaniques.
Le concert débute avec la symphonie « Réformation » de Felix Mendelssohn, en réalité sa Deuxième symphonie, si l’on s’en tient à l’ordre chronologique. Suite à l’échec de la première représentation en 1832, le compositeur mis de côté l’ouvrage, pour ne plus jamais revenir dessus. C’est pourtant là une symphonie d’une haute inspiration, composée pour fêter le tricentenaire de la confession d’Augsbourg, un des textes majeurs de la Réforme de Luther. Encore influencée par le style de Beethoven, cet opus souvent sous-estimé embrasse plusieurs citations de thèmes religieux, tels que l’Amen de Dresde ou le choral « Notre Dieu est une solide forteresse ». Dès les premières notes de l’introduction lente, le chef Andris Nelsons (né en 1978) imprime une concentration sur les enjeux d’élévation spirituelle, en refusant tout effet dramatique inutile. Le fondu ouaté qui se dégage de la superposition des lignes, aux transitions souples sans vibrato, impressionne par ses qualités de mise en place et son exploration des moindres détails dans les piani. Le chef letton n’en oublie pas le discours d’ensemble, en accélérant subrepticement le tempo dès l’exposition du premier thème, tout en restant très attentif aux nuances et aux fins de phrasés, d’un raffinement exquis.
La délicatesse aérienne qui se dégage du deuxième mouvement met en valeur les qualités d’orchestrateur de Mendelssohn, tandis que Nelsons minore la virtuosité des interventions aux vents pour mettre l’ensemble des instruments sur le même plan. Les premières mesures de l’Andante poursuivent sur cette lignée, sans pathos inutilement surligné. Mais c’est plus encore le Finale qui impressionne par la maîtrise de ses éléments entremêlés, de l’introduction superbe sans triomphalisme à la marche savante en écriture fuguée, en hommage à Bach. Ce dernier mouvement aussi entêtant qu’efficace, en ce qu’il revisite la mélodie principale en de multiples variations, évite tout pompiérisme sous la baguette toute de mesure de Nelsons, très engagé tout du long.
Après l’entracte, les troupes s’étoffent plus encore, en entrant accompagnées du Chœur de l’Orchestre de Paris, pour porter haut l’un des chefs d’œuvre de Brahms, Un Requiem allemand (1868). Là encore, Andris Nelsons reste attaché à pénétrer les intentions de l’ouvrage, très personnel du fait de son écriture basée sur les écritures saintes, mais détachée de toute tradition liée aux messes de Requiem. Bouleversé par le décès prématuré de son ami Robert Schumann en 1856, puis par la mort de sa mère en 1865, Brahms colore le début de l’ouvrage d’une palette inhabituellement sombre et immobile : Nelsons donne une nouvelle leçon d’équilibre, en faisant entendre les moindres détails du jeu subtil sur les nuances, aux graves menaçants souvent en sourdine. L’entrée du chœur a cappella est ainsi saisissante de vérité, tant la prière qui s’adresse aux vivants, privés de leurs proches défunts, touche au cœur par sa simplicité, sans artifices en termes de virtuosité. Le tapis de graves, comme murmuré, fascine durablement, donnant au chœur de l’Orchestre de Paris, très investi, une place prépondérante mais jamais outrepassée. L’atmosphère lente et mystérieuse s’éclaire peu à peu, par touches successives, avant de faire place à un humanisme incitant à prendre conscience de la brièveté de la vie, à l’instar du message identique professé dans Les Saisons de Haydn. Quelques motifs fugués viennent ensuite montrer toute la capacité du chœur en ce domaine, soutenu par un Nelsons qui sculpte les phrasés sur le sens, naviguant entre lumière et pénombre. Les interventions solistes de Julia Kleiter et Christian Gerhaher se situent sur les mêmes cimes, entre qualité de diction et éloquence sans ostentation, faisant de ce concert une des grandes réussites du début de saison.

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