lundi 26 mai 2014

« Ali Baba » de Charles Lecocq - Opéra-Comique à Paris - 20/05/2014

On n’imaginait pas pareil fête à l’Opéra-Comique pour une œuvre dite « légère ». En exhumant une œuvre totalement inconnue du rare Charles Lecocq, la grande institution lyrique parisienne obtient un triomphe mérité autour d’un plateau vocal d’exception. Quel plaisir !


Il en va de Charles Lecocq comme de son illustre inspirateur Daniel‑François-Esprit Auber : leur musique lumineuse est aujourd’hui largement négligée au seul bénéfice des deux grandes figures de leur époque, respectivement Jacques Offenbach et Gioachino Rossini. Cette tendance à l’appauvrissement du répertoire n’est malheureusement pas nouvelle et ne concerne pas seulement le lyrique. Mais elle est encore plus accentuée pour la musique légère qui n’a jamais eu bonne presse auprès des tenants d’un art sérieux, incapables de reconnaître les qualités d’invention mélodique, l’humour et la gaieté présents dans ces œuvres. Faut-il pour autant se résigner à abandonner ce vaste répertoire en dehors des traditionnels bonbons (1) de fêtes de fin d’année ?

Conformément à ses missions, l’Opéra-Comique dévoile au moins une pépite en ce domaine chaque année, offrant des productions d’un luxe inouï. On pense ainsi à la délicieuse Ciboulette de Raynaldo Hahn qui s’inspirait précisément de l’héritage musical de Charles Lecocq (1832-1918). Un compositeur au talent précoce, vainqueur ex aequo avec Bizet d’un concours d’opérette (le Docteur Miracle) lancé par rien moins qu’Offenbach en 1855. Mondialement reconnu après le succès acquis avec la Fille de Mme Angot en 1872, Lecocq se consacre essentiellement à l’opérette et à l’opéra-comique pendant la totalité de sa carrière. Selon son condisciple du conservatoire, Saint-Saëns, Lecocq doit son intense activité à ses origines modestes qui l’ont obligé à gagner sa vie précocement. Laissant ainsi à la postérité une cinquantaine d’œuvres lyriques, aujourd’hui ignorées au disque comme sur les planches, et ce malgré leurs indiscutables qualités.

Une œuvre à la fluidité naturelle

Car c’est bien ce qui frappe d’emblée à l’écoute de cet Ali Baba composé en 1887 : une facilité d’écoute, une évidence mélodique, un rythme entraînant. Fondé sur une alternance de théâtre et de chant, l’opéra a été adapté par la dramaturge Laure Bonnet qui en a modernisé le texte et réduit l’importance du parlé. On découvre ainsi une œuvre à la fluidité naturelle, parfaitement équilibrée, aux refrains nombreux qui s’enchaînent admirablement. L’histoire elle-même, bien connue grâce à l’incarnation truculente de Fernandel au cinéma, se laisse redécouvrir avec nos yeux d’enfant. On est en effet bien loin des violences qui jalonnent le conte original des Mille et Une Nuits. Une idée déjà mise en œuvre en 1833 dans une autre adaptation réalisée par Scribe pour le dernier opéra de Cherubini, une œuvre exhumée par l’Opéra du Rhin voilà trois ans.

La mise en scène d’Arnaud Meunier (2), actuel directeur de la Comédie de Saint-Étienne, se montre très fidèle au livret, tout en se permettant d’évacuer l’orientalisme par une transposition de l’action dans les années 1950. Ali Baba se retrouve ainsi transformé en homme de ménage dans les Grands Magasins dirigés par Cassim, le mari de sa cousine Zobéïde. Cette mise en miroir du consumérisme triomphant permet un jeu de perspective passionnant lorsque Ali Baba découvre le trésor des voleurs, accédant ainsi au statut de « nouveau riche ». Mais le personnage central de l’opéra est la servante Morgiane, qui déjoue toutes les ruses autour d’Ali, regrettant une fois la fortune venue, les jours heureux avec celui qu’elle aime en secret.

Les trésors de subtilité de Sophie Marin-Degor

L’air des regrets est précisément l’un des plus beaux de l’œuvre, Lecocq s’éloignant de la farce pour exprimer toute sa délicate sensibilité. Dans le rôle de Morgiane, Sophie Marin‑Degor donne à sa voix ample et agile des trésors de subtilité, offrant une densité dramatique à son personnage. À ses côtés, l’impérial Tassis Christoyannis démontre une fois encore ses qualités de projection et surtout de diction. Sa maîtrise parfaite du français lui permet aussi d’interpréter avec une vaillante conviction les différents états d’âme d’Ali. Aucune fausse note autour de lui. De la truculente Christianne Bélanger (Zobéïde), impressionnante vocalement, à l’irrésistible François Rougier (Cassim), le plateau réuni par l’Opéra-Comique frise la perfection.

Côté fosse, Jean-Pierre Haeck insuffle une belle énergie à une formation que l’on n’imaginait pas à un tel niveau. L’Orchestre symphonique de l’Opéra de Rouen - Haute‑Normandie fait partie de ces ensembles que l’on souhaite revoir très vite en ces lieux, tant le pupitre de cordes offre un soyeux délicat, soutenu par des percussions bien en verve. On espère que la même équipe saura s’intéresser aux œuvres de Gilbert et Sullivan, deux grands admirateurs de l’œuvre de Lecocq, qui ont su porter haut la musique légère pendant toute l’époque victorienne.

(1) On pense bien évidemment aux spectacles à l’Athénée (Au temps des croisades et la Botte secrète) ou, par exemple, à l’opérette Passionnément donnée l’an passé au Grand Théâtre de Tours.

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