jeudi 15 mai 2014

« Doctor Atomic » de John Adams - Opéra du Rhin - 09/05/2014

John Adams, un des grands compositeurs de notre temps, est de retour en France avec une œuvre au sujet marquant : la première bombe atomique lancée en 1945. Une mise en scène très respectueuse de l’œuvre permet de se délecter d’une partition particulièrement virtuose en matière orchestrale.



Le compositeur contemporain John Adams fait partie de ces artistes dont on se réjouit instantanément de retrouver le nom à l’affiche des grandes institutions musicales hexagonales. Fortement influencé par le courant minimaliste incarné par Steve Reich, Terry Riley ou Philip Glass, l’Américain s’est très tôt opposé à Pierre Boulez par l’affirmation d’une musique totalement libérée du cadre rigide du sérialisme. Sans doute l’une des explications de la faible diffusion de son œuvre en France jusqu’à il y a cinq ans encore. Après la création mondiale de l’oratorio el Niño en 2000, le Théâtre du Châtelet s’est fait depuis 2012 le champion de la défense de la musique de John Adams, présentant successivement les opéras Nixon en Chine, I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky puis A Flowering Tree, à chaque fois dans des mises en scène différentes de celles réalisées lors de la création.

Autre grande maison lyrique, l’Opéra du Rhin crée à son tour l’évènement en ce printemps, fêtant le compositeur américain par la création française de l’opéra Doctor Atomic, là aussi dans une nouvelle mise en scène. Composée entre 2004 et 2005, l’œuvre démontre une fois encore l’intérêt de l’auteur pour des sujets forts qui ont profondément marqué le xxe siècle. Contrairement à son librettiste et metteur en scène fétiche Peter Sellars, Adams (né en 1947) a grandi dans la peur des conséquences funestes de l’utilisation de l’arme atomique, l’une des menaces constante de la guerre froide. Le livret s’intéresse à la figure du principal concepteur de cette nouvelle arme, Robert Oppenheimer, figure fascinante à bien des égards. Particulièrement cultivé, ce brillant scientifique parlait plusieurs langues couramment et s’exprimait avec son épouse au moyen d’un langage poétique codé pour se soustraire au contrôle permanent des services de contre-espionnage.

Le premier essai atomique au Nouveau-Mexique

C’est sans doute là ce qui donne l’idée à Sellars d’inclure de nombreuses citations poético-philosophiques ayant pour but d’élever le propos, mais qui nous indiffèrent trop vite tant leur contenu reste abscons. Fort heureusement, les deux complices ont la bonne idée de concentrer l’action de l’opéra lors des quelques semaines qui ont précédé le premier essai atomique au Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1945, soit quelques jours seulement avant le lancement des deux bombes au Japon. Ce sentiment d’urgence se retrouve dans la riche partition d’Adams, véritable symphonie pour voix, ivre des couleurs et du sens rythmique si caractéristiques du compositeur américain. Véritable « star » de la soirée, l’orchestre très présent illumine une œuvre qui aurait toutefois gagnée à davantage de concision. Si l’opéra met un peu de temps à véritablement installer la tension, la musique se révélant un peu timide au début, le propos prend de la densité avec la première apparition de Kitty, la femme de Robert Oppenheimer, qui offre ensuite un superbe duo avec son mari.

Dès lors, un véritable suspens se met en place, la musique s’enrichissant d’une virtuosité de plus en plus affirmée. Sur scène, deux immenses armatures métalliques à plusieurs étages se font face, superbe décor stylisé par des éclairages variés et souvent surprenants. Toute la gageure de la mise en scène de Lucinda Childs (1) consiste à garder ce décor fixe tout au long de la représentation, n’y ajoutant qu’un lit pour figurer la chambre du couple, des incrustations vidéo lors des passages orchestraux, ou, bien sûr, la fameuse bombe, suspendue en plein milieu de la scène. Le parti pris d’un décor fixe se justifie par la réalité historique, à laquelle Adams et son librettiste sont également très attachés. Le site de recherche nucléaire fut en effet créé de toutes pièces en un lieu tenu secret au Nouveau-Mexique, lieu où les familles des chercheurs vivaient en autarcie auprès des nombreux militaires présents. L’autre excellente idée de Lucinda Childs est de rapprocher l’essai nucléaire décrit par le livret aux deux bombardements japonais. Elle y parvient au moyen de la vidéo, notamment en fin d’opéra lorsque la terrible vision du dôme de Genbaku (2) apparaît en fond d’écran.

Le chant subtil d’Anna Grevelius

Côté voix, l’Opéra du Rhin réussit une nouvelle fois à réunir un plateau vocal d’une belle homogénéité, dont se détache la vibrante interprétation de Dietrich Henschel dans le rôle de Robert Oppenheimer. Mais ce sont surtout les femmes qui marquent la soirée, particulièrement la subtile Anna Grevelius (Kitty). On se délecte de chacune de ses apparitions tant son chant délicat et raffiné se joue aisément des difficultés techniques de son rôle. On n’en dira pas autant de la servante Pasqualita de Jovita Vaskeviciute, au timbre certes superbe et à la voix puissante, mais au phrasé trop hésitant et haché pour véritablement convaincre sur le plan dramatique. Des réserves mineures cependant, tant la direction de Patrick Davin galvanise le plateau, et ce malgré l’extrême difficulté de la partition. On retrouvera l’an prochain cet excellent chef d’orchestre dans une œuvre délicieuse mais totalement différente, le Mariage secret de Domenico Cimarosa – un contemporain de Mozart. L’Opéra du Rhin ayant d’ores et déjà révélé sa nouvelle saison 2014-2015, il est donc possible de s’abonner dès à présent. N’hésitez pas !

(1) Danseuse et chorégraphe bien connue, elle réalise des mises en scène d’opéra depuis 1995. Proche de John Adams, elle a été chargée de la chorégraphie pour la création mondiale du Doctor Atomic mis en scène par Peter Sellars en 2005.
(2) Encore visible aujourd’hui, ce bâtiment symbole d’Hiroshima est, avec trois derniers arbres survivants, le dernier témoin des conséquences du massacre atomique de 1945.

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