John Adams,
un des grands compositeurs de notre temps, est de retour en France avec
une œuvre au sujet marquant : la
première bombe atomique lancée en 1945. Une mise en scène très
respectueuse de l’œuvre permet de se délecter d’une partition
particulièrement virtuose en matière orchestrale.
Le compositeur contemporain John Adams fait partie de ces
artistes dont on se réjouit instantanément de retrouver le nom à
l’affiche des grandes institutions musicales
hexagonales. Fortement influencé par le courant minimaliste
incarné par Steve Reich, Terry Riley ou Philip Glass,
l’Américain s’est très tôt opposé à
Pierre Boulez par l’affirmation d’une musique totalement libérée
du cadre rigide du sérialisme. Sans doute l’une des explications de la
faible diffusion de son œuvre en France jusqu’à il y
a cinq ans encore. Après la création mondiale de l’oratorio el Niño en 2000, le Théâtre du Châtelet s’est fait depuis 2012 le champion de la
défense de la musique de John Adams, présentant successivement les opéras Nixon en Chine, I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky puis A Flowering Tree, à chaque fois dans des mises en scène différentes de celles réalisées lors
de la création.
Autre grande maison lyrique, l’Opéra du Rhin crée à son tour
l’évènement en ce printemps, fêtant le compositeur américain par la
création française de l’opéra
Doctor Atomic, là aussi dans une nouvelle mise en scène.
Composée entre 2004 et 2005, l’œuvre démontre une fois encore l’intérêt
de l’auteur pour des sujets forts qui ont
profondément marqué le xxe siècle. Contrairement à son librettiste
et metteur en scène fétiche Peter Sellars, Adams (né en 1947) a grandi
dans la peur des conséquences funestes de
l’utilisation de l’arme atomique, l’une des menaces constante de
la guerre froide. Le livret s’intéresse à la figure du principal
concepteur de cette nouvelle arme,
Robert Oppenheimer, figure fascinante à bien des égards.
Particulièrement cultivé, ce brillant scientifique parlait plusieurs
langues couramment et s’exprimait avec son épouse au moyen
d’un langage poétique codé pour se soustraire au contrôle
permanent des services de contre-espionnage.
Le premier essai atomique au Nouveau-Mexique
C’est sans doute là ce qui donne l’idée à Sellars d’inclure de
nombreuses citations poético-philosophiques ayant pour but d’élever le
propos, mais qui nous indiffèrent trop vite tant leur
contenu reste abscons. Fort heureusement, les deux complices ont
la bonne idée de concentrer l’action de l’opéra lors des quelques
semaines qui ont précédé le premier essai atomique
au Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1945, soit quelques jours
seulement avant le lancement des deux bombes au Japon. Ce sentiment
d’urgence se retrouve dans la riche partition
d’Adams, véritable symphonie pour voix, ivre des couleurs et du
sens rythmique si caractéristiques du compositeur américain. Véritable
« star » de la soirée, l’orchestre très présent
illumine une œuvre qui aurait toutefois gagnée à davantage de
concision. Si l’opéra met un peu de temps à véritablement installer la
tension, la musique se révélant un peu timide au début, le
propos prend de la densité avec la première apparition de Kitty,
la femme de Robert Oppenheimer, qui offre ensuite un superbe duo avec
son mari.
Dès lors, un véritable suspens se met en place, la musique
s’enrichissant d’une virtuosité de plus en plus affirmée. Sur scène,
deux immenses armatures métalliques à plusieurs étages se
font face, superbe décor stylisé par des éclairages variés et
souvent surprenants. Toute la gageure de la mise en scène de
Lucinda Childs (1) consiste à garder ce décor fixe tout au
long de la représentation, n’y ajoutant qu’un lit pour figurer la
chambre du couple, des incrustations vidéo lors des passages
orchestraux, ou, bien sûr, la fameuse bombe, suspendue en plein
milieu de la scène. Le parti pris d’un décor fixe se justifie par
la réalité historique, à laquelle Adams et son librettiste sont
également très attachés. Le site de recherche nucléaire fut en
effet créé de toutes pièces en un lieu tenu secret au
Nouveau-Mexique, lieu où les familles des chercheurs vivaient en
autarcie auprès des nombreux militaires présents. L’autre excellente
idée
de Lucinda Childs est de rapprocher l’essai nucléaire décrit par
le livret aux deux bombardements japonais. Elle y parvient au moyen de
la vidéo, notamment en fin d’opéra lorsque la
terrible vision du dôme de Genbaku (2) apparaît en fond d’écran.
Le chant subtil d’Anna Grevelius
Côté voix, l’Opéra du Rhin réussit une nouvelle fois à réunir un
plateau vocal d’une belle homogénéité, dont se détache la vibrante
interprétation de Dietrich Henschel dans le
rôle de Robert Oppenheimer. Mais ce sont surtout les femmes qui
marquent la soirée, particulièrement la subtile Anna Grevelius (Kitty).
On se délecte de chacune de ses apparitions
tant son chant délicat et raffiné se joue aisément des difficultés
techniques de son rôle. On n’en dira pas autant de la servante
Pasqualita de Jovita Vaskeviciute, au timbre certes
superbe et à la voix puissante, mais au phrasé trop hésitant et
haché pour véritablement convaincre sur le plan dramatique. Des réserves
mineures cependant, tant la direction de
Patrick Davin galvanise le plateau, et ce malgré l’extrême
difficulté de la partition. On retrouvera l’an prochain cet excellent
chef d’orchestre dans une œuvre délicieuse mais totalement
différente, le Mariage secret de Domenico Cimarosa – un contemporain de Mozart. L’Opéra du Rhin ayant d’ores et déjà révélé sa nouvelle saison 2014-2015, il
est donc possible de s’abonner dès à présent. N’hésitez pas !
(1) Danseuse et chorégraphe bien connue, elle réalise des mises en scène d’opéra depuis 1995. Proche de John Adams, elle a été chargée de la chorégraphie pour la création mondiale du Doctor Atomic mis en scène par Peter Sellars en 2005.
(2) Encore visible aujourd’hui, ce bâtiment symbole d’Hiroshima est, avec trois derniers arbres survivants, le dernier témoin des conséquences du massacre atomique de 1945.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire