Jordi Savall, habituel invité de la Cité de la musique, revient pour nous faire partager sa curiosité pour les
répertoires oubliés. Ici, l’un des fils Bach dans un oratorio un peu sage mais de bonne facture.
Après le cycle consacré au jeune Mozart dont nous nous étions fait l’écho (Mitridate, re di Ponto)
en février
dernier, la Cité de la musique présente en ce moment un cycle
consacré au désert : « Déserts de l’Exode, de Judée, des
expérimentations atomiques, exotiques ou
mystiques. Il ne manque pas d’étendues de sable pour enflammer
l’imagination sonore » entonne l’institution parisienne sur son site.
Autour de compositeurs aussi différents que
Steve Reich, Saint-Saëns ou Gesualdo, la Cité de la musique met à
l’honneur Carl Philipp Emanuel Bach, n’oubliant pas ainsi de fêter le
tricentenaire de
l’anniversaire de sa naissance.
Pourtant très connu de son vivant, Emanuel Bach reste aujourd’hui
dans l’ombre de son père Jean-Sébastien, et ce alors même que sa musique
n’a eu de cesse d’éveiller l’admiration d’un
compositeur aussi éminent que Joseph Haydn. Un respect également
partagé par Mozart et Beethoven, après lui. C’est peu dire aussi que sa
méthode pour clavier a inspiré des générations de
pianistes, avant que des virtuoses tels que Muzio Clementi ou
Johann Jacob Cramer ne s’en inspirent pour leurs propres ouvrages.
Redécouvert il y a quelques années avec ses
pétillantes symphonies, Emanuel Bach s’est également consacré à de
nombreuses œuvres religieuses, dont vingt et une passions (pour la
plupart perdues lors des bombardements
berlinois en 1944) ainsi que des centaines d’oratorios et
cantates.
Un oratorio célèbre en son temps
L’un de ses oratorios les plus connus, les Israélites dans le désert,
a été composé en 1769 à l’occasion de son accession au prestigieux
poste de directeur des
cinq églises principales de Hambourg, succédant ainsi à son
parrain Georg Philipp Telemann. L’immense succès remporté par cette
œuvre permet une diffusion rapide par la célèbre
maison d’édition Breitkopf & Härtel. Aujourd’hui oublié, cet
oratorio reprend vie par la grâce d’un amoureux des partitions rares, le
chef d’orchestre catalan Jordi Savall. À
la tête de son ensemble sur instruments d’époque, le Concert
des nations, il dirige avec la sensibilité et l’attention aux équilibres
qu’on lui connaît bien. Il arrive de ce fait à
palier en partie les insuffisances individuelles de ses musiciens,
particulièrement un inégal pupitre de cordes et des cuivres en
difficulté quasi permanente.
Un petit bémol heureusement compensé par l’excellent chœur de
la Capella reial de Catalunya, à l’élan généreux et investi,
particulièrement impressionnant dans le chœur repris
fort opportunément en bis à l’issue du concert. Emanuel Bach y fait preuve d’une inventivité revigorante, multipliant de surprenantes alternances entre fortissimo et
pianissimo. C’est malheureusement l’un des seuls moments
véritablement innovants pour cette œuvre finalement assez sage, trop
courte, et dont la construction apparaît également peu
heureuse au plan dramatique avec une première partie uniformément
sombre qui répond à une seconde lumineuse. Le livret choisit en effet de
nous raconter les plaintes des israélites face à un
Dieu qui ne les aide pas lors de leur fuite d’Égypte, face à un
désert hostile. En deuxième partie, l’eau jaillit et révèle à ceux qui
ont douté toute l’étendue de leur impatience
coupable, ainsi que le peu de cas accordé à la piété fervente de
Moïse.
Un plateau vocal homogène
Dans ce rôle sévère, qui fait parfois penser à un récitant,
Stephan MacLeod s’impose par son sens de la déclamation et son timbre de
voix généreux et opulent. Il se retrouve parfois en
difficulté, tout comme les deux interprètes féminines.
Maria Cristina Kiehr compense ses difficultés de tessiture dans l’aigu
par un beau timbre rond, chaud et agréable. On
espère la retrouver dans un rôle mieux adapté à sa voix. Moins en
difficulté, Hanna Bayodi‑Hirt (Deuxième Israélite) montre une belle
vaillance, tout comme Nicholas Mulroy. Dans
le court rôle d’Aaron, ce dernier fait preuve d’une belle aisance
vocale, seulement diminuée par une certaine faiblesse de projection.
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