samedi 26 décembre 2015

« L’Ange de feu » de Serge Prokofiev - Opéra Comique de Berlin - 22/12/2015


Œuvre maudite à bien des égards, L’Ange de feu ne fut créé en version de concert qu’en 1954 à Paris, près de trente ans après sa composition par Prokofiev. C’est en effet à Berlin que l’œuvre devait être présentée pour la saison 1927-1928, avant de se voir retirée de l’affiche faute d’une partition transmise à temps, puis refusée à New York dans la foulée. En délicatesse avec le régime soviétique et finalement insatisfait de son quatrième opéra, Prokofiev réutilisera de nombreux extraits de cette œuvre dans sa Troisième Symphonie (1928). Il n’est donc pas surprenant de pouvoir assister à une nouvelle production de L’Ange de feu dans la capitale allemande en 2014 (reprise opportunément cette année) qui se rappelle ainsi cette histoire tourmentée, tout en permettant de découvrir une œuvre rarement montée – voir par exemple la production présentée à Bruxelles en 2007.

Si le livret comporte quelques faiblesses dramatiques, particulièrement les nombreux monologues qui racontent le passé de l’héroïne, la mise en scène de Benedict Andrews contourne habilement cette difficulté en faisant appel à de multiples doubles des deux personnages principaux (surtout les jeunes «sosies» de Renata), introduisant tout autant une illustration vivante du récit qu’un climat empreint d’étrange et d’irréel. A la sobriété de la scénographie s’oppose en effet cette mise en avant des corps qui joue sur les paradoxes, fantasmes et visions propres à de multiples interprétations, rappelant souvent les excentricités et outrances d’un James Ensor. En constante évolution, le plateau tournant s’anime de la construction à vue des décors au moyen de parois amovibles permettant un jeu intéressant sur les volumes dévoilés ou, au contraire, resserrés.


Fort opportunément moins sonorisé que la veille dans West Side Story, l’orchestre distille toutes les beautés vénéneuses, les effets grotesques et les rythmes ensorcelants de cette œuvre magistrale au niveau orchestral. Il aurait fallu cependant confier la direction à un chef davantage intéressé par le théâtre et par la variété des atmosphères ici à l’œuvre. Bien au contraire, l’expérimenté Vassili Sinaïski (pourtant ancien assistant du bouillant Kirill Kondrachine) préfère se concentrer sur la mise en place et la précision, évacuant prises de risque ou électricité. Des choix qui n’aident en rien les interprètes à se transcender, mais qui s’adaptent bien aux voix en présence, peu puissantes. C’est surtout notable pour la Renata de Svetlana Sozdateleva, à l’émission dure et souvent dépassée dans les accélérations, mais copieusement applaudie à l’issue de la représentation pour ses incontestables talents d’actrice. A ses côtés, Evez Abdulla remplit sa partie honorablement malgré une faible projection, reproche que l’on pourra également faire au terne Jens Larsen, peu impressionnant dans son rôle d’inquisiteur. D’autres seconds rôles se montrent plus convainquant, comme la désopilante voyante de Xenia Vyaznikova ou le Méphistophélès très en voix de Dmitry Golovnin.


De quoi permettre une soirée néanmoins agréable pour cette œuvre qui ne demande qu’à être donnée plus souvent, ne serait-ce que pour son livret aux interprétations multiples et à son final impressionnant.

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