Ces dernières semaines, les incertitudes liées à la pandémie ont
occasionné bien des frayeurs à la direction de l’Opéra de Marseille, qui
a dû remplacer en dernière minute le chef d’orchestre Lawrence Foster
et la mezzo Béatrice Uria Monzon, dans le rôle de Fricka. De même, il a
fallu placer l’orchestre en fond de scène afin de respecter la
distanciation sociale, ce qui a contraint Charles Roubaud à une
adaptation minimaliste de sa mise en scène déjà présentée ici même en 2007.
Dénué de tout accessoire, le plateau est animé des seules projections
vidéo sur le rideau qui sépare les chanteurs de l’orchestre, Roubaud
insistant sur quelques références signifiantes (le bouc comme symbole de
fécondité et de perversité) ou plus classiquement sur la force brute
des éléments. C’est principalement la direction d’acteur qui donne de la
force à son travail, bénéficiant de la proximité de la scène avec le
public, tout en se permettant quelques rares audaces : Siegmund séduit
ainsi Sieglinde dès leur premier contact, en buvant l’eau recueillie
dans ses mains, tandis que Wotan apparaît comme un personnage plus
sombre et cruel, autant dans son apparence physique que dans le meurtre
inattendu de Hunding.
La réussite de la production tient avant tout du plateau vocal réuni,
qui recueille des applaudissements enthousiastes de la part d’un public
volontiers rajeuni – on note là les heureux effets de la mise en place
du programme « Fortissimo! », voilà trois ans, qui offre aux moins de
28 ans des tarifs imbattables (10 euros la place en dernière minute,
notamment). De quoi se délecter de l’incontestable flair du directeur de
l’Opéra de Marseille en matière de voix, comme le prouve la réunion
d’un couple d’exception, constitué de Nikolai Schukoff (Siegmund) et
Sophie Koch (Sieglinde). Spécialiste du répertoire straussien et
wagnérien, la mezzo française ose ainsi aborder un rôle plus aigu que sa
tessiture – à la manière de l’évolution vocale de Petra Lang, par
exemple. Le pari est tenu haut la main, tant Koch impressionne par ses
qualités de diction, avant de se saisir des périlleuses difficultés dans
l’aigu sans jamais sacrifier à la rondeur d’émission. A ses côtés,
Nikolai Schukoff emporte également l’adhésion par ses qualités
d’articulation, au service d’une force de conviction peu commune. Même
si son émission se rétrécit dans le suraigu, au détriment de la
substance, le ténor autrichien impressionne par la parfaite maîtrise
technique de son instrument, faisant vivre le texte avec une grande
intelligence.
Sophie Koch et Nicolas Courjal |
On retrouve ces qualités d’incarnation chez Petra Lang (Brünnhilde),
autour de phrasés veloutés, d’une précision millimétrée avec
l’orchestre. Il est toutefois impossible d’oublier qu’elle n’a plus
guère l’âge du rôle, autant physiquement qu’au niveau des prouesses
vocales (suraigus arrachés et médium qui manque de soutien). Malgré
quelques passages trop mélodramatiques (avec des « r » trop appuyés),
Samuel Youn donne un éclat bienvenu à son Wotan, d’une fraîcheur vocale
insolente sur toute la tessiture, à l’instar de la radieuse Aude Extremo
(Fricka). La mezzo française trouve là un rôle à la parfaite mesure de
ses moyens, faisant valoir avec une aisance confondante la beauté de son
timbre, autant que sa voix large et admirablement projetée. A ses
côtés, l’impact physique de Nicolas Courjal donne aussi beaucoup de
satisfactions pour son court rôle de Hunding, de même que les
superlatives walkyries réunies pour l’occasion, qui démontrent toute
l’attention accordée aux seconds rôles.
La surprise vient aussi de l’adaptation orchestrale réalisée par le
compositeur et chef d’orchestre Eberhard Kloke, qui réduit l’effectif à
cinquante musiciens, là où environ quatre vingt dix sont habituellement
préférés (ce qui reste inférieur à l’orchestration originale de Wagner,
aux cent dix musiciens prévus). On gagne en légèreté et en souplesse,
sans jamais couvrir les chanteurs, ce que l’on perd en force d’impact
pour les pages guerrières, dont la fameuse « Chevauchée des Walkyries ».
A ce jeu là, la direction d’Adrian Prabava est un régal d’équilibre,
portant une attention bienvenue aux alliages de timbres parfois
morbides, sans pour autant perdre de vue l’élan narratif global, le tout
en un geste assez vif. Assurément l’un des grands atouts de la soirée,
avec le formidable plateau vocal réuni.
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