Si l’opéra italien se taille la part du lion dans la programmation
liégeoise, de Rossini à Puccini, les occasions d’entendre les petits
maîtres du vérisme sont plus rares, à l’instar du méconnu Mese Mariano
(1910) de Giordano, découvert l’an passé. On comprend dès lors pourquoi
le public est venu en nombre pour fêter le chef d’œuvre de Francesco Cilea (1866-1950),
qui n’avait plus été donné à Liège depuis 33 ans ! Un évènement, même
si cette nouvelle production ne comble pas toutes les attentes, loin
s’en faut, malgré le plaisir d’entendre une musique d’une inventivité
toujours renouvelée au niveau mélodique, à même d’embrasser les
soubresauts du mélodrame.
Une fois n’est pas coutume à Liège, c’est principalement au niveau de la distribution des rôles principaux, il est vrai redoutables de virtuosité, que l’on reste sur sa faim. Ainsi de la tonitruante Adriana d’Elena Moşuc, ancienne colorature plus à l’aise dans le répertoire du bel canto, dont le vibrato envahissant fatigue sur la durée, sans parler des sauts de registre catapultés dans l’aigu, sans agilité de transition. Si le timbre reste agréable quand l’émission est bien positionnée en pleine voix, les qualités d’actrice déçoivent aussi, à force de poses artificielles, entre mains levées au ciel ou regards outrageusement exagérés. On lui préfère la ténébreuse Princesse d’Anna Maria Chiuri, aux graves irrésistibles de noirceur et d’intention dramatique dans les ariosos, mais qui ne peut tout à fait affronter les difficultés vocales nombreuses, faute d’un médium plus riche de projection. Très inégal, Luciano Ganci (Maurizio) souffre d’une émission étroite, qui le conduit à adopter un chant en force pour affronter les aigus, tout en perdant souvent en substance. A l’instar d’Elena Moşuc, le timbre souverain parvient à s’épanouir d’une vitalité ardente dans les parties apaisées, plus réussies en comparaison. A ses côtés, Mario Cassi (Michonnet) assure l’essentiel par ses phrasés équilibrés et bien posés, faisant quelque peu oublier une coloration trop terne, tandis que Pierre Derhet se distingue dans le petit rôle de l’abbé, à force de truculence et d’impact vocal millimétré.
A la tête d’un excellent Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, aux cordes admirables et soyeuses, Christopher Franklin souffle le chaud et le froid pendant toute la soirée par ses tempi endiablés, refusant l’effusion comme le récit narratif. Pire, le chef américain s’emporte dans les scènes verticales en faisant tonner cuivres et percussions au détriment des chanteurs, balayés par le tourbillon sonore. La dernière partie de soirée, plus mesurée, le montre enfin plus à son aise. Sur le plateau, la splendide scénographie de Virgile Koering souligne l’effervescence haute en couleurs des coulisses d’un théâtre, où tous les personnages s’agitent pour préparer le spectacle, rappelant le joyeux charivari du film Les Enfants du paradis (1945) de Marcel Carné. La transposition de l’action dans les années 1920 reste ensuite assez sage, en s’appuyant principalement sur une réalisation visuelle minutieuse, notamment une évocation des costumes fantasques et constructivistes du Ballet triadique (1922) de Paul Hindemith. Un travail appliqué, mais qui manque d’audace sur la totalité des 3 heures de spectacle.
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