Les coïncidences font parfois bien les choses : à seulement un mois
d’intervalle, le public lyonnais a pu découvrir aux Célestins la
rarissime pièce L’Orage (1859) d’Alexandre Ostrovski (en tournée
dans toute la France dans la mise en scène de Denis Podalydès), avant de pouvoir
apprécier son adaptation lyrique, sous le titre de Kátia Kabanová
(1921) : de quoi évaluer le drame de Leos Janácek sous un regard neuf,
tant l’action a été recentrée sur les souffrances de l’héroïne, en
supprimant toute une galerie de personnages secondaires savoureux, tout
en préservant le message de désespérance d’une société crispée et
désenchantée, annonçant déjà Tchekhov. Janácek, lui‑même empêtré dans un
amour sans issue avec une femme mariée, se passionne pour cette
histoire avec une résonance brûlante, qui transparaît dans sa musique,
frémissante et mouvante, à la sensualité sous‑jacente.
Ancienne assistante à Paris de Mikko Franck, Elena Schwarz se saisit des
différentes humeurs du drame en faisant ressortir une myriade de
détails et de couleurs, en étageant les interventions des différents
pupitres avec beaucoup de sensibilité. Il est dommage que ses variations
de tempo, entre ralentissements excessifs dans les passages apaisés et
accélérations dantesques dans les parties plus enlevées, ne viennent
parfois nuire à la conduite narrative, apportant aussi quelques
décalages avec le plateau, par endroit. Rien de rédhibitoire toutefois,
d’autant plus que le plateau vocal se montre d’un haut niveau, jusque
dans les moindres seconds rôles.
Déjà acclamée dans le rôle‑titre l’automne dernier
à Genève, Corinne Winters poursuit son irrésistible ascension, à force
de facilité d’articulation et de puissance dévastatrice. A Lyon,
l’acoustique plus directe au parterre nécessiterait peut‑être, ici et
là, des nuances plus fines pour mieux saisir les errances de l’héroïne,
notamment en dernière partie, où les pianissimi sonnent trop forts. On
pourrait faire le même reproche au tonitruant Benjamin Hulett, même si
l’on finit par rendre les armes face à la sincérité de son engagement,
sans parler de sa technique sans faille. On lui préfère toutefois le
timbre d’une rayonnante jeunesse d’Adam Smith, aux couleurs plus
différenciées, malgré une puissance moindre en comparaison. En matière
de mordant et d’intentions, Natscha Petrinsky donne à son rôle vénéneux
une teinture admirablement cuivrée – autant de qualités qui manquent au
chant parfait, mais trop propre d’Ena Pongrac (Varvara), là où le
superlatif Willard White donne encore une leçon de classe vocale dans
son bref rôle de Dikój. On aime aussi le très expressif Tikhon d’Oliver
Johnston, bouleversant dans son rôle de mari falot, brisé par sa mère
castratrice.
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Corinne Winters |
La déception de la soirée vient de la mise en scène peu imaginative de Barbara Wysocka, qui fait là ses débuts en France. La Polonaise, à l’instar de Christoph Marthaler à Garnier (voir la dernière reprise de ce spectacle en 2011), installe tout son petit monde dans l’espace unique et étouffant d’un HLM sordide, où l’horizon semble bouché pour tous les protagonistes. Autour de saynètes qui enrichissent l’action lors des interludes symphoniques, la mise en scène annonce à plusieurs reprises les velléités de suicide de l’héroïne, comme seule échappatoire possible. Trop discret en première partie, ce travail s’anime quelque peu ensuite, en mettant en avant les éléments (l’eau, surtout, comme symbole d’une purification morale apportée par l’orage). Pas de quoi, toutefois, convaincre sur la totalité de la durée du spectacle.
D’ores et déjà annoncée, la nouvelle saison de l’Opéra de Lyon s’annonce encore une fois passionnante, en poursuivant l’exploration du legs lyrique de Janácek, avec L’Affaire Makropoulos, tout en donnant une place remarquée aux spectaculaires La Femme sans ombre de Strauss et La Fille du Far West de Puccini. Parmi les reprises, on note le retour attendu des délicieux Barbe‑Bleue d’Offenbach (production créée en 2019) et Brundibár de Hans Krása (production créée en 2016). De quoi maintenir le haut de niveau de qualité de l’institution lyrique lyonnaise, aux côtés de Strasbourg et Toulouse, en région.
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