mardi 11 avril 2023

« Cabaret » de John Kander - Gil Mehmert - Opéra de Dortmund - 10/04/2023

 

Les années 1950-1960 ont vu plusieurs comédies musicales américaines aborder un sujet aussi sensible et douloureux que l’avènement du nazisme, rencontrant plusieurs succès durables, tels que La Mélodie du bonheur (1959) ou Cabaret (1966, d’après les écrits de Christopher Isherwood). Des ouvrages encore d’une brulante actualité, malheureusement, tant les démocraties vacillent face aux tentations du repli sur soi et de l’affirmation identitaire : de quoi oublier le « plus jamais ça » professé par les survivants de l’après‑guerre, convaincus de la nécessaire concorde entre les peuples. On comprend ainsi pourquoi l’ouvrage composé par John Kander (également auteur de Chicago) ne cesse d’être monté dans le monde entier, afin de rappeler ces présages funestes. La musique survitaminée est toujours accessible par sa coloration d’influences jazzy et populaires, incluant un omniprésent accordéon ou une clarinette aux accents juifs ashkénazes.

Assister à ce spectacle en allemand donne un relief d’autant plus percutant que l’on perçoit le durcissement progressif de la langue, qui claque comme une mitraillette pour embrasser les raideurs de l’autoritarisme, à l’instar d’un ultime « Gute Nacht » en fin de représentation. Mais que dire, lorsqu’on découvre à l’entracte que l’Opéra de Dortmund a été construit sur les ruines de l’ancienne Synagogue, brûlée par les nazis en 1938 ? Une opportune exposition photographique, visible dans le hall du bâtiment, rappelle cette coïncidence troublante, avant que le spectacle ne reprenne, plus sombre que jamais face aux menaces grandissantes des nazis. Si la mise en scène de Gil Mehmert peine à capter l’émotion de cette dernière partie plus désenchantée, celle de la vie insouciante de la pension de Mme Schneider convainc davantage au début, tout comme l’exubérance des shows du Kit Kat Club. L’exiguïté des différentes chambres, toutes réunies sur l’une des facettes de l’imposante structure en métal qui tient lieu de décor unique, fait rapidement place aux scènes délurées du cabaret, grâce au plateau tournant : cette scénographie spectaculaire impressionne par ses changements rapides d’atmosphères, permettant l’alternance voulue par le livret entre scènes intimistes et plus sauvages – même si Mehmert ne fait pas dans la dentelle pour figurer la liberté de mœurs du Berlin des années 1930, à force de chorégraphies toutes plus déhanchées les unes que les autres.

Ce traitement haut en couleur est surtout préjudiciable au rôle de Sally Bowles, interprété par une Bettina Mönch qui surjoue la virilité (une allusion aux penchants d’Isherwood, peu porté sur la gent féminine ?), en roulant les « r » à l’excès pour en imposer à son partenaire. C’est d’autant plus regrettable que les parties chantées la montrent davantage à son aise, bien aidée par des moyens opulents. On lui préfère toutefois le plus subtil Clifford de Jörn‑Felix Alt, très à l’aise dans les clairs‑obscurs de son rôle, ou le superlatif maître de cérémonie de Rob Pelzer, au débit étourdissant d’esprit et d’assurance. Plus émouvants dans l’interprétation théâtrale que vocale, Angelika Milster (Fräulein Schneider) et Tom Zahner (Herr Schultz) complètent cette distribution de belle tenue, applaudie par un public dithyrambique en fin de soirée, manifestement conquis par l’énergie communicative déployée sur le plateau, à défaut d’émotion.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire