Entendre deux raretés lyriques absolues au TCE à seulement deux semaines d’intervalle permet de mesurer la chance du mélomane curieux à Paris, qui sait pouvoir profiter de l’investissement constant des équipes du Palazzetto Bru Zane (PBZ) en la matière, depuis plus de dix ans. Après le tempérament volcanique de Louise Bertin révélé dans Fausto, voilà peu, place aux délices raffinés de Massenet, autour de sa fantaisie médiévale Grisélidis (1901). Comme à l’habitude, ces différents concerts seront à retrouver dans l’élégante et passionnante collection des livres-disques «Opéra français» du PBZ, aux côtés notamment de Thérèse et du Mage, du même Massenet.
Avec Grisélidis, Massenet surprend par un opéra-comique ramassé en deux heures de musique, qui dévoile toute la palette très variée de son inspiration. La muse de Massenet se joue d’un livret rocambolesque, ici augmenté de l’apport tragi-comique du Diable, qui reprend l’histoire alors bien connue d’un mari jaloux invariablement convaincu de l’infidélité de son épouse. Si le début de l’opéra commence par les effluves soyeuses d’une orchestration éthérée aux vents, il est rapidement suivi par le lyrisme ardent de l’hymne à la beauté de l’héroïne, entonné par son promis Alain. Les élans pieux de Grisélidis reprennent ensuite cette musique franche et poignante, à l’opposé des vignettes musicales mouvantes (proches du pointillisme) préférées pour accompagner les autres rôles sérieux, notamment celui du Marquis et de la servante Bertrade. Le contraste n’en est que plus grand avec le style piquant et dansant qui anime les apparitions du Diable et de sa femme, apportant une truculence savoureuse tout du long. Les dialogues un peu datés, tout comme les références religieuses appuyées, prêtent parfois à sourire, mais permettent paradoxalement de prendre de la distance avec l’apologie conservatrice du statut de l’épouse au début du XXème siècle, nécessairement soumise à la toute puissance de son mari.
La soirée est portée par un plateau vocal parmi les plus réjouissants du moment, à quelques infimes réserves près. Ainsi de Vannina Santoni (Grisélidis),
dont la précision technique impressionne jusque dans les parties les
plus ardues, même si son style un rien précautionneux explique, aussi,
ses limites au niveau interprétatif. On aimerait ainsi une intention un
peu plus mordante par endroits pour nous arracher cette émotion qui doit
poindre, notamment lors de sa splendide prière au début du III. Quoi
qu’il en soit, la soprano française assure l’essentiel, portée par un
timbre séduisant, sans parler de la souplesse de son émission.
On aime aussi la clarté d’élocution aérienne de Julien Dran, d’une justesse dramatique toujours aussi éloquente, de même que le solide Thomas Dolié (Le Marquis), à la diction idéale dans ce rôle. Mais c’est peut-être plus encore le désopilant Tassis Christoyannis
qui fait valoir un inattendu tempérament comique en Diable, très
incarné ici, jusque dans les accentuations et les mimiques visuelles.
Outre les choeurs bien préparés, les seconds rôles assurent leur partie
de manière superlative, notamment la voix charnue d’Adèle Charvet (Bertrade), d’une belle résonance d’émission.
Quel plaisir, aussi, de retrouver un spécialiste de Massenet aussi attentionné que Jean-Marie Zeitouni à la tête de l’excellent Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie : le chef québécois, régulièrement invité à Nancy (voir ici) et Montpellier (voir ici), démontre une fois encore tout le bien que l’on pense de lui, à force d’équilibre avec le plateau et d’allégement de la masse orchestrale, au service d’une interprétation musicale d’une grande expressivité.
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