dimanche 30 janvier 2022

« Ariane et Barbe‑Bleue » de Paul Dukas - Opéra national de Lorraine à Nancy - 28/01/2022

Si Paul Dukas (1865‑1935) reste peu connu du grand public en dehors de son « tube » L’Apprenti sorcier (1897), il le doit avant tout à lui‑même, tant son exigence le contraignit à restreindre le nombre de ses projets tout au long de sa carrière, allant aussi jusqu’à détruire certains ouvrages jugés indignes de lui. Dans ce contexte, on comprend pourquoi son intérêt se porta sur la pièce Ariane et Barbe‑Bleue (1901) de Maurice Maeterlinck, dont le propos initiatique libérateur, allant bien au‑delà du célèbre conte, fait écho à l’autocontrainte castratrice de Dukas : l’idée du dramaturge belge consiste en effet à montrer combien l’individu est prisonnier de chaînes autant visibles qu’invisibles, dont il peut se libérer au prix d’un cheminement personnel rigoureux. Dans ce labyrinthe intérieur auquel chacun doit faire face pour se découvrir, Ariane sert de guide spirituel, usant d’une langue symboliste subtile et évocatrice, dont se saisit Dukas en déployant toutes les ressources d’un orchestre très coloré, d’une opulence wagnérienne très présente dans les passages dramatiques, avec quelques rares références au modèle debussyste dans les parties plus « morbides ».

Après Cendrillon à Nancy en 2019, puis Werther du même Massenet à Montpellier l'an passé, on se réjouit de retrouver le chaleureux chef québécois Jean‑Marie Zeitouni, toujours aussi inspiré par le répertoire français : sa baguette inventive, aux attaques franches mais jamais brutales, fait ressortir une myriade de couleurs, sans jamais négliger l’attention au drame. Les moindres inflexions musicales de Dukas trouvent ici un trait toujours mis en avant avec beaucoup d’à‑propos et d’esprit. Voilà un chef que l’on souhaite revoir très vite, à l’instar de la formidable Catherine Hunold, qui s’empare de son rôle très lourd avec un mélange étonnant de sérénité et d’autorité naturelles.

Son attention à la diction est un régal tout au long de la soirée, faisant vivre l’intelligence du texte sans se départir des nécessités vocales du rôle dans les parties plus enlevées. Après le déjà très wagnérien Bérénice de Magnard, donné à Tours voilà déjà huit ans, la soprano dramatique française confirme brillamment tous les espoirs fondés sur son talent. L’autre grande satisfaction de la soirée revient à la prestation superlative d’Héloïse Mas (Sélysette), qui déploie ses graves superbes au moyen d’une puissance parfaitement maîtrisée. A ses côtés, Anaïk Morel (La Nourrice) séduit par son chant raffiné, toujours précis et investi, malgré une projection plus modeste en comparaison des deux chanteuses précitées. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur de l’événement, surtout les femmes de Barbe‑Bleue.

Malgré quelques huées isolées au lever du rideau, la transposition contemporaine de Mikaël Serre séduit par l’exploitation ingénieuse du décor, en forme de vaste garçonnière revisité par le plateau tournant. La variété des éclairages, tout autant que l’utilisation de la vidéo à plusieurs moments clés du récit, donnent une modernité bienvenue à l’ensemble, même si la jacquerie à mi‑chemin entre anti‑vaccins et pro‑Trump tourne un peu à vide à force d’insistance. On aime le travail sur les vidéos qui évoquent les horreurs du monde extérieur (dictateurs, bombe atomique) redoutées par les femmes tout au long de leur voyage initiatique. La tension qui en résulte donne beaucoup de variété à l’ensemble, même si le spectacle vaut surtout par ses qualités vocales et instrumentales.

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