Quel chemin parcouru par le Quatuor Arod, depuis son premier prix en
2015 au concours de musique de chambre Carl Nielsen ! Si le remplacement
en cours de route de deux de ses membres n’a rien enlevé à la cohésion
de l’ensemble, on reste surtout bluffé par la fraîcheur juvénile
toujours à l’œuvre, comme si les années n’avaient aucune prise sur eux.
Tout du long, on se régale ainsi des regards expressifs que s’échangent
les différents interprètes, tout particulièrement à l’alto et au
violoncelle, comme un reflet de la complicité manifeste entre chacun –
également très présente dans l’excellent documentaire de Bruno
Monsaingeon Ménage à quatre, diffusé récemment sur France 5 (à voir en replay jusqu’à fin octobre).
On retrouve les Arod pour un programme confrontant les quatuors de
Brahms et Chostakovitch, dans l’intimité de l’auditorium Cziffra
(200 places) de La Chaise‑Dieu. D’emblée, l’acoustique chaleureuse des
lieux met en avant les individualités qui se dégagent du dernier quatuor
de Brahms, à l’atmosphère apaisée : achevé en 1876 en même temps que sa
Première Symphonie, le Troisième Quatuor laisse une place
quasi concertante à l’alto dans ses deux derniers mouvements, en une
légèreté sautillante et sans afféterie. Les Arod allègent les textures,
tout en soignant les transitions, sans aucun vibrato appuyé : les
détails révélés ne nuisent jamais au discours d’ensemble, toujours
conduit par le bras solide de Jordan Victoria au premier violon.
Le concert gagne ensuite en intensité avec le Troisième Quatuor
(1946) de Chostakovitch, proche des « symphonies de guerre » par son
climat sombre et grinçant, ici préservé de toute emphase triomphale :
les premières notes en apparence guillerettes laissent rapidement
entrevoir quelques nuages, parcourant les instruments d’une ampleur
toute symphonique (expliquant pourquoi le chef Rudolf Barchaï en fit une
adaptation pour orchestre à cordes, à l’instar d’autres quatuors de
Chostakovitch). A l’ironie de l’Allegretto initial succède la
tension martelée du mouvement suivant, qui s’apaise peu à peu pour
laisser place à la mélodie, le tout superbement mis en valeur par le
travail d’orfèvre des Arod dans le mélange des sonorités en sourdine.
Plus tragique encore, l’Allegro est porté par des scansions
violentes, en une course à l’abîme où le rythme s’accélère. Le mélange
de précision et de concentration des interprètes impressionne, tout
autant que l’énergie déployée, laissant peu de répit à l’auditeur. La
douleur poignante de l’Adagio laisse ensuite entrevoir toute la
maturité des Arod dans l’expression d’un pathos sans excès, avant la
conclusion apaisée en trompe‑l’œil, du fait des quelques notes sombres
et énigmatiques en contraste.
Après ce « Chostakovitch glacial », dixit le violoncelliste Jérémy Garbarg, les Arod offrent en bis la poésie rêveuse et vaporeuse du mouvement lent du Quatuor
(1893) de Debussy : un disque prévu à l’automne devrait nous permettre
de découvrir la version chatoyante et langoureuse ici évoquée, comme un
doux murmure.
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